La retraite, est-ce vraiment la quille ? Dialogue très personnel sur les angoisses d’un futur retraité (1)…
MOI (philosophe et optimiste) : Bientôt la quille !? Un trait sur quarante années de travail. Une page tournée et même plusieurs en fait ?
Moi (fataliste et inquiet) : Effectivement, outre la page familiale, il y a eu celles du clerc de notaire, du jeune notaire, du Président de Chambre, du Président de Conseil régional, du communicateur… et bien d’autres.
MOI : C’est formidable de regarder son passé avec un sentiment de réussite et d’accomplissement ! Je sais, la roue tourne et tout cela, après tout, pour un homme normal, est bien conventionnel. Mais l’idée de faire autre chose, de découvrir d’autres activités, de mieux se consacrer à sa famille tout simplement ou à ses hobbies, ne te rend pas heureux ?
Moi : Tu sais, lorsqu’on est idéaliste, on n’est jamais vraiment satisfait. Ma contribution à la profession a-t-elle été efficace ? Ai-je fait bouger certaines pesanteurs, soulager quelques contractures ? Ou, au contraire, à force de redites, ai-je créé des réactions négatives et plus conservatrices encore ?
MOI : Certes, tu ne détiens pas la vérité, mais tu t’es engagé honnêtement, sans arrière-pensées, avec le seul souci d’être utile. Ton idéal ne pouvait en exiger plus.
Moi : C’est vrai, mais je regrette de n’avoir pas toujours été compris. Je n’ai pourtant eu qu’un souhait : être notaire, celui de Réal, celui qui n’a pas d’âge, pas d’époque, qui a une Ethique, le goût du travail utile et efficace, qui est moderne et en harmonie avec son époque. Après deux ans, un Président a souvent l’impression que le temps est passé trop vite et qu’il n’a pas pu boucler son programme. Après une vie, c’est pareil : il reste un goût d’inachevé. C’est en tous les cas mon impression en ce moment…
MOI : C’est peut-être mieux ainsi. Après tout, nul n’est parfait.
Moi : Il y a aussi l’inquiétude d’un avenir bien sombre quand on lit et écoute les économistes attentifs à la marche du monde. Selon certains, nous sommes anesthésiés. Nous crevons doucement de plus de vingt années de lâcheté. Nous serions d’autant plus coupables que nous adorons le double langage ; nous faisons semblant de croire ceux qui, censés s’occuper de notre avenir, continuent à nous mener droit dans le mur. L’hypocrisie de la classe politico-syndicale devrait pourtant nous faire hurler, ne serait-ce que pour aider une jeunesse qu’on sacrifie sur l’autel des égoïsmes et de la ringardise. Malheureusement, « il n’y a nation au monde qui fasse plus pour se ruiner que la nation française », dixit Charles Quint, et rien n’a changé depuis.
MOI : Ce n’est pas d’aujourd’hui puisque cela dure depuis trente ans.
Moi : Certes. Mais toute dégringolade a une fin qui s’appelle « faillite ». Pour un retraité, c’est terriblement angoissant de se demander ce qu’il fera en cas de ruine du pays puisqu’il ne dépendra que des subsides de sa Caisse de Retraite et d’éventuels compléments qu’il aura eu la sagesse de prévoir. Il fut un temps, récent il est vrai, où le retraité pouvait se reposer et jouir largement d’une fin de vie méritée, tandis que le jeune s’engageait dans la vie sans craindre le chômage. Aujourd’hui, ce dernier est terrorisé par la recherche d’une première embauche, tandis que le retraité redoute que l’Etat réduise sa pension, au seul prétexte de ses besoins en constante augmentation et pour la seule raison que ses dirigeants sont imprévoyants et, pour tout dire, indignes. Sais-tu que selon les prévisionnistes, les Français auront la moitié du pouvoir d’achat des Américains dans vingt ans ?
MOI : Ton angoisse de retraité, si je comprends bien, est donc plus nationale que notariale ?
Moi : Je n’ose croire que nos dirigeants du CSN auront été mieux inspirés que nos politiques, mais je le souhaite évidemment. C’est la raison pour laquelle, en plus du sursaut auquel nous assistons en direction des jeunes et pour une augmentation réelle du nombre de notaires, il faut impérativement qu’un rapport lucide et approfondi sur le Notariat, ses structures, ses charges et ses hommes, soit mis en œuvre, puis suivi de mesures drastiques.
NDLR : Cet article a été rédigé voici quelques mois, avant que notre ami Jean-Paul Gayot ne prenne une retraite aussi active qu’inspirée puisqu’il écrit régulièrement dans nos colonnes.