Quelle surprenante séance que celle de l’Assemblée nationale lors de laquelle nous avons vu une poignée de députés des bords les plus opposés tenter courageusement (mais vainement) de faire front contre le projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées. Qu’ils en soient chaleureusement remerciés, même si leurs interventions et amendements ne furent au final qu’un bien triste baroud d’honneur…

 

Tout était bouclé d’avance, la messe notariale était dite : Ite ! En effet, que ce soit de la part du garde des Sceaux face aux vaillants députés ou du Président Ferret face aux initiatives de soulèvements nées en PACA ou en Savoie, le seul argument évoqué a consisté à affirmer : « Il y a eu un accord entre les avocats et les notaires, il est hors de question de revenir dessus ». Mais quelle peut être la valeur d’un tel accord lorsque l’on sait que l’une des parties jouit d’une liberté sans égale et du soutien de la plus haute autorité de l’État alors que l’autre est soumise à une tutelle ministérielle, laquelle de surcroît se plaçait comme arbitre ? Ce soi-disant accord relève plutôt du Diktat du genre de celui de Versailles en 1919…

Quoi qu’il en soit, revenir en arrière semble impossible. Nous devons donc nous y résigner. Seule une censure du Conseil constitutionnel pourrait éventuellement mettre à bas le plan machiavélique des avocats, ou plutôt, soyons juste, de certains d’entre eux.

 

L’enfer est pavé de bonnes intentions

Le pire n’est pourtant pas où on le pense. Laissant de côté le miroir aux alouettes du PACS, l’un des arguments avancés par la Chancellerie et le CSN consiste à nous faire croire que notre compétence sera renforcée par l’introduction au titre de loi dans le Code civil de l’obligation de recours à l’acte authentique en matière de publicité foncière. Personnellement, le Décret de 1955 me suffisait. Le point complémentaire à insérer dans cette « légalisation » aurait été d’y adjoindre la même obligation pour les actes relatifs à des parts de sociétés possédant des immeubles. Mais là encore n’est pas le pire. Comme le diable se cachant dans les détails, le pire se cache dans le terme d’ « acte authentique ». En effet, aveuglés par notre prétendue compétence, nous pensons que nous sommes les seuls à rédiger des actes authentiques et que notre monopole de publication au fichier immobilier restera assuré. Grave erreur ! Un de mes premiers cours de Droit m’enseignait que les actes authentiques sont ceux rédigés par les officiers publics, les actes administratifs et les jugements. Or c’est à cet endroit précis du fruit que se trouve le ver : les jugements.

 

Quand les « jugements » s’en mêlent…

Nous savons déjà que, pour de très grosses transactions, les avocats mettent en œuvre de faux procès pour publier, via les jugements, des mutations immobilières. On pourrait penser que cela reste anecdotique et peu pratique à réaliser ; c’est vrai en partie. Mais à un niveau beaucoup plus modeste, celui qui concerne la majorité des notaires dans leur quotidien, le ver est déjà en train de se multiplier. En effet, certains avocats avec la complaisance, innocente ou non, de certains magistrats, rédigent eux-mêmes les conventions de divorce comportant des immeubles. Le jugement homologuant ledit partage étant un acte authentique, il est en lui-même suffisant pour être publié au bureau des hypothèques. Et le tour est joué : nul besoin de notaire ! Les avocats connaissent tous cette ficelle, et seul le refus de certains juges face à cette pratique nous protège encore parfois. Mais pour combien de temps ? Notre avenir doit-il dépendre de la conviction, parfois bien mince, qu’un juge peut avoir en nos compétences ? La réponse est NON assurément.

 

Oui à l’acte notarié !

Et si aujourd’hui, il est un dernier combat que nous devons mener, c’est bien celui-là : remplacer dans le texte de la future loi le terne « acte authentique » par celui d’ »acte notarié ». Sinon, il ne nous restera plus qu’à demander massivement notre admission au barreau ! Nous pourrons ainsi reprendre une partie des compétences qu’on nous aura ôtées. Le temps que les pouvoirs nous interdisent, par un moyen ou un autre d’exercer l’une ou l’autre des professions alors que rien ne semble s’opposer au cumul, nous aura permis au moins, si ce n’est de survivre, de semer une belle pagaille !