Nos AG, colloques et séminaires sont propices aux idées, parfois géniales. Peu débouchent sur des applications concrètes. Elles sont généralement enterrées dans le cimetière des idées oubliées du notariat… Cimetière qui regorge de propositions lumineuses pourtant non négligeables en période de fléchissement d’activités !
Que dire de l’inflation des idées qui « agitent » nos tribunes ? Parmi celles-ci, un concept a la vie dure. Il s’agit du « quadrillage juridique » ! Ce propos, nous l’avons entendu 100 fois. C’est sympa, convivial, voire consensuel. Sur ce sujet récurrent, j’avais relevé, en son temps, l’extrême clairvoyance de notre confrère Jalenques, en 1974, lors du Congrès MJN au Québec (1). Il dénonçait, déjà, le caractère désuet de la carte notariale en France, en ces termes : « Par la rigidité même de son implantation, le notariat a sous encadré la nation (…) C’est en ville qu’existe, depuis longtemps, un désert notarial (…) et ce désert a reçu, d’autres mains que les nôtres, l’irrigation juridique que nous lui avons refusée (…). Le quadrillage qui nous importe n’est pas un quadrillage géographique, mais social ! ». Le CSN a fait le choix de la politique dirigiste de l’accueil, complété par quelques rafales de créations d’offices. La piste libérale, suggérée par le MJN qui consistait à faciliter les transferts et créations d’offices, reste à baliser.
Créateurs, levez-vous !
Mais tant que le libéralisme restera un « gros mot » dans notre pays, on peut raisonnablement penser que le statu quo a encore de beaux jours devant lui. Il faudrait autrement débloquer la création et systématiser le parrainage du créateur, pendant les premières années d’exercice, en le faisant bénéficier de l’expérience confirmée de collaborateurs « volants », comptables et formalistes. Le MJN proposait, à l’époque, une véritable « démarche qualité initiale », gage de réussite et de pérennité. C’est à ce prix que l’ardente obligation du « quadrillage juridique » pourrait trouver un début de crédibilité.
Stratégies de conquête
Ce n’est qu’en période de fléchissement d’activité, voire de vaches maigres, que les stratégies de conquête irradient les estrades. Elles consistent à décréter, dans l’urgence, l’inventaire des fonds d’armoire. Certaines recèlent des trésors, parfois dépréciés comme les mainlevées en instance. Plus sérieusement, des stratèges de haut vol ressortent une palette d’activités récurrentes hors « monopole », qualifiées d’aisément accessibles, telles l’expertise, la négociation immobilière, la gérance, le secrétariat de sociétés, les cessions de fonds, la gestion de patrimoine, voire la médiation… Qu’en est-il sur le terrain ? Les résultats d’aujourd’hui sont-ils à la hauteur des espérances ? Rien n’est moins sûr. Plutôt que d’inciter à attaquer le marché et à libérer le potentiel d’énergies créatrices, les instances professionnelles font preuve d’une frilosité excessive. Elle est fondée sur le souci permanent de justifier le statut et de « vitrifier » l’existant. La montagne d’idées géniales semble avoir accouché d’une souris de réalisations pérennes.
Sphère d’origine
D’où vient donc cette chape de plomb idéologique et institutionnelle qui pèse sur le notariat ? Pourquoi notre profession, si riche en talents, ne transforme-t-elle pas ses essais ? Ils lui permettraient pourtant de gagner des parts de marché. Frédéric Bastiat (2) apporte un début de réponse. Déjà en 1850, il écrivait dans son pamphlet « La Loi » : « Il y a trop de grands hommes dans le monde ; il y a trop de législateurs, organisateurs, instituteurs de société, conducteurs des peuples, pères des nations, etc. (…) Trop de gens qui se placent au-dessus de l’humanité, pour la régenter, trop de gens font métier de s’occuper d’elle… ». Ainsi, pour que la collectivité des notaires prenne véritablement son essor, il faudrait réintégrer la majeure partie des débatteurs patentés dans leur sphère d’origine, c’est-à-dire l’étude ! Un endroit qu’ils n’auraient jamais dû quitter.
1 – Ce congrès était présidé par François de Tinguy du Pouet. Il avait pour thème : « Le Notaire au service de l’homme de demain ». 2 – Frédéric Bastiat (1801-1850), économiste et homme politique français