Plutôt que se quereller avec nos amis britanniques, il aurait été préférable d’adopter le pragmatisme de leurs décisions afin de mieux combattre la crise financière et conserver durablement ce fameux triple A que les agences de notation hésitent encore à nous enlever (1).

 

Notariat 2000 : Quelle est l’origine de la crise financière actuelle ?

Bernard Thion :Elle a pour origine la crainte de gros investisseurs, tels les fonds de pension américains, devant les engagements considérables pris par les banques (notamment européennes) sur des obligations émises par quelques Etats jugés peu solvables. Ce ne sont pas les taux d’endettement de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne qui inquiètent fondamentalement la communauté financière – ils étaient déjà à ce niveau il y a une centaine d’années (2) -, mais leur cumul avec celui des grandes banques locales. Car les engagements réels de ces dernières sont à ce point opaques, qu’elles se refusent à des prêts interbancaires. En revanche, la faillite des banques privées peut théoriquement entraîner celle des pays où elles siègent.

 

Notariat 2000 :Quels remèdes privilégient les économistes ?

Bernard Thion :La plupart des économistes privilégient trois remèdes  :
- réglementer le secteur bancaire en isolant les activités de dépôt de celles d’investissement ;
- autoriser la Banque Centrale au financement des dettes anciennes à taux très faibles plutôt qu’à l’amélioration des profits du secteur bancaire (3) ;
- réduire les dettes nouvelles par contraction des dépenses budgétaires.

 

Notariat 2000 :Les dispositions prises par l’Angleterre et la France pour se sortir de la crise sont pourtant bien différentes ?

Bernard Thion :En effet, dès le 15 juin 2011, Georges Osborne, chancelier de l’Échiquier (ministre des finances), a annoncé, dans son plan de réforme, la séparation des activités dépôt de celles d’investissement pour les établissements bancaires. L’objectif étant d’éviter que leur défaillance fasse courir un risque à toute l’économie. De plus, les Britanniques ont leur propre Banque Centrale. Son taux directeur de 0,5% est historiquement bas et elle a toute liberté pour racheter les obligations d’Etat. Enfin, le Royaume-Uni a fait une coupe sombre dans les dépenses publiques avec un plan d’austérité très sévère dès le début 2011.

 

Notariat 2000 :Que s’est-il passé pendant ce temps en Europe ?

Bernard Thion : Les européens se sont efforcés de mieux réguler leurs systèmes bancaires. Ils ont préféré laisser s’enrichir les banques afin d’améliorer leur solidité plutôt que les obliger à la scission de leurs activités. Le nouveau patron de la BCE, Mario Draghi, ayant eu l’interdiction de racheter les emprunts d’Etat, annoncait, le 8 décembre dernier, un financement illimité sur trois ans des banques au taux réduit de 1 %. Il incitait ainsi le secteur bancaire à financer les entreprises et racheter les prochains emprunts émis notamment par la France et l’Italie. Contrairement à ce souhait, l’essentiel des 489 milliards d’Euros mis à la disposition des banques semble avoir été replacé en trésorerie auprès de la BCE. Enfin, les récentes dispositions budgétaires prises par la France pour réduire son déficit ont surtout porté sur un relèvement des impôts plutôt qu’une diminution des dépenses publiques, freinant d’autant la consommation intérieure et donc la croissance future.

 

Notariat 2000 :Que résulte-t-il de ces différentes politiques ?

Bernard Thion : La France et son système bancaire demeurent toujours très vulnérable à la crise de zone euro alors que le Royaume-Uni apparaît beaucoup plus solide aux yeux des agences de notation. Plutôt qu’épouser l’intransigeance allemande, mieux aurait valu, semble t-il, prendre exemple sur nos amis Anglais pour conserver durablement notre triple A.

 

1 – Ce texte a été rédigé le 10 janvier, avant la dégradation de notre note par l’agence Standard & Poor’s 2 – Voir la revue Challenges n°279 du 1er décembre 2011. 3 – Pour améliorer leurs bénéfices les banques peuvent emprunter de l’argent aux Banques Centrales à 1% et le replacer actuellement à plus de 5% sur les emprunts espagnols ou 7% sur les emprunts italiens, avec un risque peu différent de celui des emprunts d’Etat français.