Nous avions déjà eu des opérations télécopieurs (un succès), téléphones de voiture (un fiasco), solutions CD-ROM (une honte) et, quasiment chaque année, on nous apportait, sur un traîneau tintinnabulant tiré par un Elan, des opérations groupées de natures diverses… L’habitude s’était installée dans nos offices et puis, d’un coup, plus rien.
Nous ne nous sommes pas tout de suite aperçu de ce « vide », occupés que nous étions à jouer aux cartes (R.E.AL., R.E.AL+), à surmonter des épreuves pour gagner des clefs (R.E.AL. aussi) et à maîtriser toutes les subtilités des derniers jeux vidéo massivement multi-joueurs (la conquête de Planète et la maîtrise de Télé@ctes). Mais le temps passant, les têtes pensantes des institutions notariales réalisèrent qu’il était peut-être temps de marquer intelligemment leur époque… Elles se réunirent en commissions, sous-commissions, groupes de travail, pour définir l’objectif le plus urgent à réaliser, mais rien ne venait. Pas la moindre idée nouvelle, onéreuse et subventionnable n’émergeait des débats. On décida alors d’interroger le premier quidam qui se présenterait devant le porche du 60 bd de la Tour-Maubourg…
« Enfoncer le clou »
L’échantillon représentatif de la population qui eut le privilège d’être interrogé n’avait jamais rencontré de notaire, ne savait pas à quoi cela servait, et était donc « totalement vierge de préjugés ». Rapidement mis au courant, et interrogé sur ce que devraient faire les notaires, notre panel bredouilla : « Euh ben moi, chais pas, mais si j’étais vous, de toutes façons, j’me dis qu’il faut enfoncer le clou, tu vois ! ». Le brainstorming qui s’ensuivit (rapide, certains des permanents devant quitter les lieux de toute urgence pour ne pas prendre de retard sur leurs RTT) en conclut avec une logique imparable que, si la sagesse populaire estimait que les notaires devaient « enfoncer le clou », il était indubitable que les notaires se trouvaient -pour l’instant- dépourvus de marteaux. Il fallait donc envisager de leur procurer l’instrument considéré comme essentiel à leur développement, à la poursuite de leur quête de la qualité et, ce qui est encore bien plus essentiel, de satisfaire à l’attente de la clientèle (le fait que l’échantillon n’ait pas été en contact avec les notaires démontrant, si besoin était qu’il restait encore beaucoup à faire à ce niveau).
Un outil du plus bel effet
Un groupe de travail fut constitué. Il fut chargé d’élaborer des logos, plaquettes, et de rédiger les scénarii interprétés au cours de la tournée organisée dans toutes les grandes villes de France pour vanter l’opération Mjolnir (ainsi dénommée en mémoire du marteau du dieu Thor, la mythologie grecque dans son intégralité ayant été déposée à l’INPI par une société d’informatique notariale dont le nom m’échappe…). On envoya à toutes les forges susceptibles de produire encore le précieux outil un cahier des charges très précis décrivant l’objet à présenter, et l’on attendit. Une société taiwanaise d’import-export d’outils fut la première à présenter son projet. Bien qu’onéreux au regard de l’utilité apparente de l’outil pour les notaires, il recueillit les faveurs du président de la commission ainsi que celles des vice-présidents, présidents adjoints, disjoints et d’honneur. L’outil était en effet orné sur le manche d’une Marianne dorée du plus bel effet et était fourni dans un coquet coffret en bois exotique, doublé de velours. Sans plus attendre (il ne fallait pas que les avocats aient un marteau avant les notaires et n’enfoncent le clou les premiers), commande fut passée. Le montant, certes exorbitant de la facture, était absorbé pour deux tiers par les subventions négociées de main de maître, ce qui ramenait l’ensemble à seulement 800 € H.T. (ce qui, vous en conviendrez, est peu de chose, comparativement à l’objectif poursuivi…).
Triomphe
Les notaires, disciplinés et peu regardants, souscrivirent en masse. L’opération fut un véritable triomphe ! Bien sûr, personne n’avait jamais eu en main le précieux objet, mais tous étaient convaincus de son utilité et de son adaptation à la tâche exaltante à laquelle il était destiné… L’objet miraculeux fut livré. Il correspondait à l’illustration qui en avait été fournie par le fabriquant, mais la réalité est parfois trompeuse… Ce qui explique, peut-être, que les notaires ne parviennent toujours pas à enfoncer le clou !