« Suis-je à la bonne place ? ». Ne devrait-on pas se poser cette question au moins une fois dans sa vie et, pourquoi pas, tous les dix ans ? C’est en tout cas le fil rouge du film « L’Âge de raison » dans lequel apparaît Me Meyrignac, un drôle de notaire…

 

Cet été, je n’ai pas vu le film de l’année, ni même celui de l’été, mais « L’âge de raison », une comédie de Yann Samuell à propos de laquelle les commentaires étaient si opposés que l’on pouvait se demander si les spectateurs avaient vu la même. Les seins de Sophie Marceau ne suffisent pas à faire un excellent film, mais certains spectateurs ont trouvé intéressante l’idée de faire un retour dans sa vie. L’histoire commence par une lettre : « Chère toi-même, aujourd’hui, j’ai 7 ans et je t’écris cette lettre pour t’aider à te souvenir des promesses que je fais à l’âge de raison et aussi te rappeler ce que je veux devenir… ». Qu’un enfant permette à un adulte de retrouver sa voie, ce n’est pas précisément original. Que des rêves d’enfants reviennent troubler la conscience de l’adulte que l’on est devenu, ne l’est pas non plus. Mais ce rappel fait à la jeune femme qu’incarne Sophie Marceau a de l’attrait ! Surtout lorsque les enveloppes sont remises par un vieux notaire : Me Meyrignac, incarné avec jubilation par le comédien Michel Duchaussoy.

 

« Son bureau sent bon la cire d’abeille… »

L’histoire ne laissait pas présager la venue d’un notaire. Que viendrait-il faire dans une comédie romantique ? Et pourtant, il est bien là, dans son étude installée sur une place de village, comme au temps jadis. Son bureau, éclairé par une lumière matinale, sent bon la cire d’abeille étendue sur le bois blond des étagères sur lesquelles sont rangés les minutiers. Lunettes accrochées sur le bout de son nez, sourire engageant, geste empathique, bras tendus pour accueillir l’enfant de 7 ans qui lui remet toute la correspondance qu’elle a rédigée, des dessins, des secrets, une valise… Bref, tout ce qu’elle souhaite se voir remettre pour ses 40 ans afin de bien tenir ses engagements d’enfant. Elle a remis ses quelques économies pour payer les honoraires du notaire qui s’est formellement engagé à respecter tous les devoirs de cette mission. Devenue femme d’affaires aux États-Unis, Sophie Marceau est évidemment peu ouverte à l’idée de recevoir ce vieux notaire (d’ailleurs à la retraite), chargé des courriers rédigés il y a si longtemps… Enfantillage qui ne l’émeut point. Je passe sur la suite de l’affaire, car le sujet n’est pas là, même si l’on pourrait discuter longuement autour de la métaphore offerte par ce film sur le thème de l’être et le paraître. Il est, le lecteur l’a bien compris, dans la personnalité de ce notaire, dans son statut, sa mission, son éthique, sa probité, son désintéressement…

 

De la fiction à la réalité

Le notaire d’aujourd’hui, aussi compétent soit-il, recevrait-il une petite fille désargentée ? Accepterait-il de remplir une mission mal rémunérée et apparemment peu sérieuse, même si elle conditionne à terme la vie d’une personne ? Accepterait-il de perdre du temps… et de l’argent ? Se laisserait-il porter par le rêve d’un enfant et entrerait-il dans son histoire ? En prendrait-il le risque, alors qu’il n’y a rien à gagner ? Bref, mettrait-il son éthique, sa probité, son honneur, au service d’une cause sans intérêt à première vue ? Si ce n’est pas le cas, comment envisager de voir à nouveau un notaire entrer dans le scénario d’un conte romantique ? Faudra-t-il se résoudre à le voir rejoindre les avocats dans les films évoquant le côté obscur de l’humanité ? Ce n’est pas à moi de répondre. J’ai rejoint le rang des retraités, et je ne peux plus influer sur l’avenir du notariat. J’espère seulement qu’il continuera à alimenter les fantasmes de l’humanité chaque fois qu’ils sont positifs…