« Ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres » Léo Ferré

 

La 2e commission du dernier congrès du Mouvement Jeune Notariat m’a donné l’occasion de vérifier le bien fondé d’un de mes précédents articles sur la morale, le droit et la conscience…

 

À Loutraki (Grèce), Marie-Agnès Fixois (Louvres) et Céline Vilain (Paris) ont prôné des points de vue novateurs (comme c’est souvent l’apanage du MJN). Des points de vue qui ont suscité un débat animé, choquant les consciences des plus conservateurs d’entre nous puisqu’il fut notamment question de mariage homosexuel, d’adoption par deux personnes du même sexe et de « filiation sociale ». Je ne peux que féliciter les rapporteurs d’avoir trouvé des solutions intéressantes pour faire face à des phénomènes de société qui, s’ils ne sont pas nouveaux, ont aujourd’hui davantage de visibilité. Toutefois, lors des débats, la véritable problématique fut celle tenant à l’interrogation du Mouvement Jeune Notariat, voire du notariat dans sa globalité, sur sa capacité à proposer des textes novateurs, et surtout, à ne pas craindre de mettre en application des lois susceptibles d’heurter la conscience de certains d’entre nous.

 

Clause de conscience

Nous savons tous que certaines professions libérales connaissent une « clause de conscience ». À titre d’exemple, les avocats ont le droit de refuser de défendre un justiciable en invoquant leur clause de conscience. Or, l’un des premiers devoirs du notaire est l’obligation d’instrumenter. À compter du 1er janvier 2007, date à laquelle le PACS pourra être reçu en la forme authentique, certains refuseront-ils de recevoir cet acte entre deux personnes du même sexe ? La question se posera avec encore plus de gravité le jour où les plus homophobes d’entre nous, devront recevoir un contrat de mariage entre deux homosexuels… Déjà, certains pays reconnaissent la validité d’un tel mariage. Déjà, les règles de droit international permettent, en la matière, au notaire français de rédiger et recevoir le contrat dans certains cas. Les partisans acharnés de la réserve accepteront-ils de recevoir des actes de renonciation anticipée à l’action en réduction ? D’autres peuvent-ils aujourd’hui refuser leur concours à un couple dont l’homme doit signer un consentement à procréation médicalement assistée ? La question reste ouverte et seule la possibilité d’une clause de conscience, qui pour l’instant n’existe pas, le permettrait.

 

Au service du droit

L’ inexistence de cette clause est parfaitement justifiée. En effet, le notaire est au service de l’État et des citoyens. Le fait que nos clients assument de mieux en mieux leur choix les amène à solliciter de plus en plus nos compétences dans des domaines où la limite entre le droit et la morale sera de plus en plus ténue. Pour les plus progressistes d’entre nous, il n’y aura pas de problème épineux. Mais qu’en sera-t-il des plus réfractaires ? Car au fond, il ne s’agit que de jugement de valeur : on ne demande pas aux notaires de signer en tant que partie, un acte susceptible de les heurter, mais simplement de le rédiger et de le recevoir pour leurs clients. Cette rédaction et cette réception devraient se faire sans jugement, simplement au service du droit. Mais la morale tient une place importante, elle est nécessaire, parfois encombrante. Doit-on mettre sa propre morale totalement de côté et se soumettre aux règles de droit positif ? Doit-on anticiper le droit positif et chercher, soit individuellement, chacun dans son étude, soit collectivement comme dans les congrès, les moyens d’apporter des réponses à ces justiciables ? Je suis quant à moi favorable à la deuxième solution. Mais cela m’est facile car je relève plutôt d’un esprit progressiste et je conçois bien que cela puisse ne pas être le cas de tous mes confrères.