C’était la rentrée, le beau temps persistait, les visages encore bronzés affichaient le souvenir des vacances. Pourtant, dans les esprits, une inquiétude latente perdurait et apparaissait parfois à l’image d’une éruption volcanique, soudaine, violente. La secrétaire avait ouvert le courrier. Il était au centre de la table et attendait les trois associés qui, après l’avoir étudié, feraient appeler le personnel pour sa répartition. Me Bon (une quarantaine d’années) lisait le dernier numéro de Notariat 2000. Survient Me Durant (une trentaine d’années)…

GAYOT_541Me Durant : tu n’en as pas marre de lire cette revue ? Franchement, qu’est-ce qu’elle t’apporte ?

Me Bon : holà ! Tu t’es levé du pied gauche ?
Me Durant : absolument pas ! Je constate que le président du CSN nous engage à faire des économies et, toi, tu continues à nous faire payer un abonnement à une revue inutile qui ne sert qu’à brouiller les esprits, agiter des concepts, contester la hiérarchie. Bref une revue « libertaire »…
Me Bon : pour quelqu’un qui ne l’a jamais lue, il me semble que tu es bien affirmatif.
Le troisième associé, Me Martin (une soixantaine d’années), les rejoint.
Me Martin : conviens qu’il n’a pas tort ! Prôner la liberté à tous crins, la déréglementation, la démocratisation, la publicité… c’est de la démagogie pure et simple et ça ne fait pas rentrer un dossier.
Me Durant : en revanche, ça crée un mal-être, ça déboussole et ça conduit à la ruine. Le notariat, c’est d’abord une profession réglementée qui marche en ordre derrière son président.
Me Bon : dites donc, chers confrères, je ne vais pas vous faire un cours de philosophie, mais vous connaissez  « L’ordre libertaire » (1) ? (Les associés lèvent les yeux au ciel). C’est l’enseignement de Camus et c’est justement le contraire. L’ordre libertaire, c’est la contestation en vue d’obtenir mieux, mais avec des principes à respecter. Pas question de développer une idéologie dans l’abstrait. Ce qu’on dit, on le fait ; ce qu’on affirme, on le prouve. On ne professe pas dans le vide, on met en pratique…
Me Durant : pipeau ! La remise en question permanente, ça n’est pas un objectif.
Me Martin : il faut bosser, c’est tout. Ecouter les discours, mais faire au mieux, garder son indépendance comme les avocats. Qu’est-ce que vous croyez ? Ce ne sont pas les discours illusoires du CSN et les critiques permanentes de Notariat 2000 qui vont vous apporter des dossiers.
Me Bon : je suis donc associé à un jeune qui pète de trouille et veut suivre aveuglément sa hiérarchie, et à un vieux qui est prêt à faire n’importe quoi pourvu que ça rapporte. Une vraie caricature du notariat ! Eh bien, moi je vous dis qu’il y a une autre ligne d’action ! Il faut revenir aux fondamentaux comme dans la vie ! Nous sommes victimes de la maladie de l’idéalité, angoissés au point de choisir les extrêmes : une rigueur paralysante ou une activité « borderline ».
Me Durant et Me Martin (en chœur) : et que proposes-tu ?
Me Bon : D’abord, lire Notariat 2000, ensuite porter dans l’action des idées neuves qui ne sont, en réalité, que le développement modernisé de ce qui est constitutif de notre profession.
Me Durant et Me Martin (toujours en chœur) : par exemple ?
Me Bon : La confraternité, la formation, l’éthique, la solidarité, le respect de l’autorité…
Me Martin : on connaît ça par cœur. C’est un peu court !
Me Bon : certes, mais ça, c’est la base nécessaire et, sur ce socle, on entreprend, on innove, on développe, on contrôle, on évalue. Pas de tabou, tout est contestable. Il faut une volonté et une ambition commune, un projet qui nous engage et nous conduise à nous adapter au changement de société inéluctable qui se profile à l’horizon.
Me Durant : tu proposes un changement de mentalité et, au fond, le remplacement des élites par d’autres plus ouvertes, plus pragmatiques, plus dynamiques, plus emblématiques dans la sincérité.
Me Martin : développer l’empathie et justifier pleinement notre utilité.
Me Bon : à présent, vous voyez à quoi sert la lecture de Notariat 2000 ! Accepter « l’ordre libertaire », avant qu’il ne soit trop tard, afin d’éveiller les consciences et créer les conditions favorables pour relever le défi historique de la remise en question des fondements du notariat.

1. C’est le titre d’un livre sur Camus de Michel Onfray.