Les périodes de crise sont en général très révélatrices. Celle que nous vivons actuellement, à la fois économique et morale, l’est doublement et nos particularités notariales s’en trouvent soudainement remises au goût du jour. Il n’y a pas si longtemps, la liberté boursière était présentée par certains comme la preuve évidente de l’inutilité d’un contrôle de type notarial, que reste-t-il aujourd’hui d’un tel argument ?
Depuis la folie « golden-boy » des années 80, le marché était devenu une superstar avec ses groupies, ses fans, et un public toujours croissant. Le marché s’autorégulait, il n’avait que des qualités et rien ne semblait pouvoir remettre en cause sa suprématie. Même l’éclatement de la bulle de l’économie numérique n’avait pas réussi à assombrir le tableau. Mais cette fois, le vaisseau fait eau de toutes parts. Il laisse toute une population d’exclus, de victimes hébétées qui cherchent désespérément à reprendre appui et se tournent vers ce qu’ils estiment être des valeurs sûres. Et parmi ces valeurs ? Devinez ! Il y a NOUS !!! Les notaires !
Un phare dans la tempête
Avouez qu’il est inattendu de voir des Chambres départementales rappeler qu’un notaire ne peut conserver les fonds d’un client au-delà de ce qui est nécessaire, quand bien même cette conservation serait effectuée à la demande du client lui-même. Il n’y a pas si longtemps on nous reprochait plutôt de retarder la remise des fonds, entravant le placement mirifique qui aurait pu en être fait par un « conseiller-karaoke » ou une blondinette en robe à pois… Face aux requins de la finance (ça y est, ils ont enfin compris notre campagne de publicité de 1989), nous faisons figure de sauveurs. Dans la fureur de la tempête, nous sommes la lumière rassurante du phare qui indique la direction du salut…Oh bien sûr, nous restons « suspects ». Mais par comparaison aux nouveaux « coupables avérés », nous bénéficions enfin de la présomption d’innocence que beaucoup nous refusaient. Reste que cette situation ne sera pas nécessairement éternelle. Les maitres de l’illusion sauront bien vite faire à nouveau prendre des vessies pour des lanternes et éblouir les alouettes à grand renfort de miroirs…
Relativité de nos coûts
Simultanément, la Commission Darrois accouche -dans la peine- d’un rapport truffé de contradictions, dont l’ « Exécutif » (celui dont on ne prononce plus le nom) souhaite qu’il soit rapidement transformé en loi. Plus que jamais, il devient indispensable de se poser les questions que tous refusaient de voir jusqu’à présent. La principale d’entre elles (pardonnez-moi si je radote), dans la perspective de favoriser « l’accès au droit », reste celle de la relativité de nos coûts. Dans ce contexte de crise, nous autres TPO (Très Petit Office) ruraux, nous nous heurtons chaque jour à cet écueil incontournable : pourquoi les « petits actes » sont-ils proportionnellement si chers pour le client tout en restant insuffisamment rémunérateurs pour le rédacteur ? Cette question se pose avec d’autant plus de cruauté lorsque ces actes sont inévitables et que ceux qui doivent y recourir se trouvent économiquement en difficulté…
Modifications urgentes
Si nous devons venir en aide aux autres professionnels, pour leur permettre d’assurer l’accès au droit, ne devrions-nous pas revoir notre conception de l’unicité de la profession, de la solidarité entre notaires ? Si nous voulons transformer l’exception en règle, il est souhaitable qu’il n’y ait réellement plus, entre nous, de concurrence déséquilibrée (je n’utilise pas déloyale mais n’en pense pas forcément moins), ni de différences marquantes. Ce qui implique quelques modifications urgentes, et notamment :
• un tarif opérant une véritable péréquation « à l’acte » (formalités forfaitaires, émoluments proportionnels linéaires sans plafonnement mais avec péréquation assurant un minimum décent tout autant qu’une limite raisonnable) dont les éléments seraient suffisamment clairs pour que le client puisse le vérifier lui-même.
• Une unification nationale de nos procédures de concours et participations (notaire du vendeur comme rédacteur car le notaire de l’acquéreur est trop souvent celui de l’agence !) 1 Bien évidemment la rémunération, seule véritable cause des divergences actuelles devrait être, tout simplement, 50/50. Et ce, soyons écologistes, avec ou sans présence physique au rendez-vous !
• Une suppression de l’habilitation des clercs qui crée de réels problèmes d’image (l’acte authentique c’est le notaire), sans parler de la multiplication des aigris dont les prises de position dans le forum de la Commission Darrois auraient pu nous être hautement nuisibles…
Bien sûr, ce n’est que l’avis d’un tout petit notaire, mais en ces temps de disette, alors que le fourrage commence à vous manquer, chers Dinotaires, ne serait-il pas temps d’y prêter un peu d’attention ?
1. Lire également « Où est ma plume ? », p.26 N2000 n°499, Février, dans lequel Jean-Michel Segura a développé le point de vue inverse.