Me Jean M… vient de prêter serment. À peine sorti du Tribunal de Grande Instance de Dijon, il regagne son étude avec la « patate » du jeune délégataire de la puissance publique. Petite histoire d’un notaire qui court après une plume…

 

Acte 1 : Au courrier du jour, un compromis de vente dans lequel Me Jean M… représente l’acquéreur (qu’il remercie par courrier). Il écrit au notaire du vendeur pour lui préciser qu’un projet d’acte de vente lui sera adressé dès que possible. Dès le lendemain, le confrère lui rappelle dans un fax explosif que c’est le notaire du vendeur qui rédige. « Tiens, bizarre se dit le jeune notaire, car dans le Doubs où j’ai effectué mon stage, c’était le notaire de l’acquéreur en vertu du règlement inter-cours qui s’applique sur tout le territoire ».

 

Acte 2 : Nouveau compromis de vente dans lequel Me Jean M… est notaire acquéreur. Par chance pour lui, le notaire du vendeur est en Saône-et-Loire, département voisin. « Super, le notaire n’est pas en Côte d’Or, je vais enfin pouvoir recevoir mon premier acte de vente. » Il adresse un courrier au confrère, membre de la même Compagnie qui, dès le lendemain, lui envoie un fax explosif. Il lui rappelle qu’en Côte d’Or, c’est le notaire du vendeur qui rédige.

 

Acte 3 : Nouveau compromis. Cette fois-ci, Me Jean M…est notaire acquéreur. Le bien vendu est dans la Nièvre, ainsi que le notaire vendeur installé à Nevers. « Bon, cette fois, il ne faut pas que je me plante. Voyons : la Nièvre n’est pas dans la Cour d’Appel de Dijon, je suis notaire acquéreur, donc pas de problème, je rédige. » Il adresse un courrier… Dès le lendemain, il reçoit un fax explosif qui lui rappelle que la minute de la vente appartient au notaire de l’acquéreur, à moins que le bien vendu soit dans le ressort de la Cour d’Appel dans laquelle est établi l’office du notaire du vendeur, auquel cas la minute appartient au notaire du vendeur. « Damned, se dit notre jeune notaire, je n’arriverai jamais à rédiger un acte de vente avec ce règlement ! »

 

Acte 4 : Nouveau compromis de vente d’un bien situé à Avignon, négociée par un confrère d’Avignon, notaire du vendeur. « Nickel ! Je suis tranquille, je suis suffisamment loin de toute Cour d’Appel ou de tout Tribunal de Grande Instance limitrophe. Je rédige. » Il adresse un courrier… Dès le lendemain, il reçoit du confrère un fax explosif lui rappelant qu’ en cas de négociation dûment justifiée faite à la requête de tous les vendeurs, le notaire qui a reçu mandat de négocier sera fondé à retenir la minute de la vente.

 

Acte 5 : Nouveau compromis dans lequel Me Jean M… est notaire acquéreur. Le bien vendu est un terrain situé dans un lotissement juste achevé. L’un des frères lotisseurs, mécontent du notaire ayant constitué le lotissement, a choisi un confrère situé à Lille, là où il habite. Son frère a conservé Me Jean Caisse, auteur du cahier des charges du lotissement. Le lotissement est en Côte d’Or. « No problemo ! Le bien vendu est dans mon département. Donc je rédige ». Il adresse un courrier. Dès le lendemain, il reçoit un fax explosif qui lui rappelle que le notaire détenteur d’un cahier des charges de lotissement retient la minute de la première vente de chacun des divers lots, à la condition d’être le notaire d’au moins un des vendeurs.

 

Acte 6 : Un client de l’étude vient voir Me Jean M…. Il souhaite acheter un appartement saisi par le créancier du propriétaire. Suite aux poursuites, le logement doit être mis en vente. Le bien est situé à Dijon (donc dans le département où Me Jean M…exerce). « Cette fois, c’est la bonne, je suis compétent pour rédiger cet acte. » Me Jean M… écrit à l’avocat du propriétaire poursuivi ainsi qu’à celui du créancier pour réaliser la vente. Dès le lendemain, il reçoit de Me G Xiste, notaire à Dijon, un fax explosif qui lui rappelle qu’il en est tout autrement !

 

Acte 7 : Epuisé par un règlement inutilement compliqué et d’un autre temps, Me Jean M… alerte le président du CSN. Il suggère que le règlement inter-cours relatif à l’attribution de la minute en cas de vente soit rédigé en un article unique. Voici ce qu’il propose : « En cas de vente, la minute de la vente appartient au notaire de l’acquéreur. Lorsque la vente est négociée par un autre notaire que celui de l’acquéreur, elle appartient au notaire acquéreur, mais il devra réserver au notaire négociateur ses émoluments de négociation. La minute de tout acte d’acquisition, avec ou sans substitution ou rétrocession par une SAFER, appartient au notaire du cocontractant. Aucun règlement de compagnie ou de cour d’appel ne doit déroger à ces règles. » Depuis, Me Jean M… a enfin réussi à rédiger un acte de vente. Il a cependant bien compris qu’en matière de règlement, il ne servait à rien de faire simple quand on pouvait faire compliqué…