« Tu ne vaux pas un seul centime… Tout appartient à la Société Anonyme ». Les paroles visionnaires de la chanson d’Eddy Mitchell n’ont pas permis d’éviter l’augmentation de la rémunération des responsables des grandes sociétés. Aurai-je plus de chance en vous disant : « Ce n’est pas toi, tu ne vaux pas un seul radis, tu es situé dans un secteur où flambent les prix » ?

 

Le Conseil supérieur du notariat nous le dit depuis des années : « Le notaire, c’est l’acte authentique ». Soit. Mais si l’acte authentique est le notaire, cela veut-il dire que le notaire n’est rien sans son acte ? Mieux : si le notaire a pour seule valeur celle de son acte, n’est-il pas paradoxal que la valeur de l’acte soit assise sur la valeur exprimée et non sur les qualités intrinsèques de l’acte lui-même ? Comment peut-on, dès lors, accepter qu’un acte qui présente de telles qualités et qui, de surcroît, est conservé 75 ans (et plus) par son rédacteur, sous sa responsabilité, au nom de l’État, puisse avoir une valeur de 25,55 €, 54,75 € ou 73,00 € ht ? Quel « homme juridique » accepterait de se voir ainsi sous-évalué ? Les arguments relatifs à la notion de service public et la compensation des privilèges qui nous sont conférés en retour satisfont surtout ceux d’entre nous qui bénéficient largement des privilèges sans trop avoir à servir.

 

Les gros et les petits

Les gros actes compensent les petits… D’accord, mais si « le notaire, c’est l’acte authentique », on peut en déduire, sans se luxer les neurones, que les notaires sont égaux lors de leur prestation de serment. Nous avons tous réussi les nombreuses étapes de notre entrée dans la profession. Quant aux actes, ils apportent la même sécurité juridique et sont conservés identiquement… Alors, pourquoi un acte de vente, portant sur un bien de même nature, avec les mêmes difficultés rédactionnelles et le même devoir de conseil, peut-il « valoir » par exemple de 768,95 € à 289 078,00 € (sauf plafond DSK), selon que le bien vaut 35 millions d’anciens Francs ou d’Euro* ? Et dès lors, comment ne pas pardonner à ceux qui, à peine nommés dans une région porteuse, se mettent à mépriser souverainement les « gagne-petits » de la France profonde qui leur semblent tellement arriérés ? Pourtant, le notaire de la France profonde est bien un notaire ? Peut-être même était-il, avant de faire un choix de vie, potentiellement un « grand notaire ». En somme, « ce n’est pas lui (elle), il vaut autant que toi confrère, il subit simplement la valeur de la terre ».

 

Communisme notarial

Mark Twain disait : « achetez de la terre, on n’en fabrique plus ! ». Une parcelle, un bâtiment, un lot de copropriété a une valeur intrinsèque, fondamentale et relative à sa situation. Au nom de quoi cette valeur géographique serait-elle la base d’une évaluation tarifaire ? J’entends des dents qui grincent… Ne serait-ce pas là l’expression d’une sorte de communisme notarial ? Tous égaux, tous rémunérés pareil, au-dessus de… (choisissez le montant), je prends tout ? Absolument pas ! Il s’agit de faire coïncider les affirmations avec les réalités ! Dans l’idéal, bien sûr, nous devrions être rémunérés identiquement par acte. Ce qui sera impossible tant que nous subirons la vénalité des offices. En fait, il s’agit tout simplement de permettre à tous de vivre décemment en rendant un service similaire (et non identique), tout en étant légitimement rémunéré pour tout acte authentifié à la juste valeur de cet acte. Cet objectif pourrait être atteint par la création d’un système de péréquation permettant, sans augmenter le coût du « petit acte » pour le client, d’en assurer la digne rémunération. Les « sommets » qu’atteignent certains ne s’en trouveraient que très faiblement écrêtés et chacun serait finalement rémunéré à sa juste valeur minimale. Les plus acharnés pourraient faire des affaires florissantes sans établir leur suprématie sur le sacrifice des autres. C’est à ce prix que le maillage, le quadrillage, le réseau (appelez-le comme vous voudrez !), pourra se maintenir, tant il est vrai qu’une pyramide échafaudée sur les épaules des plus faibles manque cruellement de stabilité.

 

*pour plus de détails voir le N° 491, « selon que vous serez puissant ou misérable ». Tous les anciens articles sont disponibles sur le site web de la revue.