“Nous partîmes 500, mais par un prompt renfort, nous nous vîmes 3 000 en arrivant au port !” s’exclame Rodrigue dans Le Cid (1). Le notariat, lui, reste sur le quai et ses effectifs sont désespérément figés. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de voir notre belle profession au cœur de la tourmente médiatique et au centre de toutes les convoitises.

 

Le notariat est une profession riche et organisée. Les notaires bénéficient d’un domaine d’activité réservé, ce qui aiguise les jalousies. Il est, en effet, facile de reprocher aux notaires de rester entre eux et de défendre leurs supposés privilèges. Il est tout aussi aisé d’oublier le sens de leur intervention et leur rôle d’officier ministériel. Pour faire face à l’évolution de la société, il a  été tenté, à de multiples reprises, d’augmenter significativement les rangs de la profession. L’équation est facile à comprendre : plus les notaires seront nombreux, plus ils auront les moyens d’offrir à leurs clients un service de qualité (ce qui doit être la première préoccupation du notaire). L’objectif est simple à comprendre, les moyens discutables…

 

Marianne la marieuse

L’espace d’un instant, la profession a cru pouvoir se draper dans le confort illusoire d’un beau slogan pour booster significativement le nombre des notaires. D’où le fameux « 10 000 notaires en l’an 2000 ». C’était beau et moderne, jeune et dynamique, parfait pour montrer que notre profession, qualifiée à tort de « poussiéreuse », s’inscrivait avec conviction dans la dynamique de l’an 2000. Le problème, c’est que l’an 2000 a également rimé avec « bug ». Malgré un emballage séduisant, le slogan n’a pas suffi et, lors du changement de millénaire, force a été de constater que les effectifs n’avaient pas augmenté. Pour augmenter le nombre de notaires, l’idée de renforcer les associations et de provoquer « les accueils » a alors germé. Quiconque atteindrait un certain seuil, déterminé par une combinaison entre le nombre d’actes et le bénéfice réalisé, aurait l’obligation de prendre un associé. On connaissait les mariages blancs, les mariages forcés ou arrangés, venait maintenant l’association imposée ! La rébellion des notaires fut immédiate. Pas question de prendre un ou plusieurs associés supplémentaires ! En tant que professionnels libéraux et indépendants, rien ne pouvait les contraindre de partager le pouvoir ! Pour parer le coup, la profession a alors utilisé son arme absolue : tout notaire refusant un accueil subirait la concurrence d’un office créé à proximité de l’étude. Et d’agiter le spectre de la création pour forcer à augmenter le nombre de notaires. Climat de franche confraternité. Le notariat revisite le concept de rapport de force. Pour atténuer le choc, des instructions ont, depuis, été données aux Chambres départementales pour organiser ces fameux accueils. Pourtant, le flou artistique demeure et le nombre de notaires évolue peu, d’où l’agacement des Pouvoirs publics qui exigent des résultats. Certains notaires ont une idée redoutable. On invente alors le concept de « notaires Canada Dry ».

 

Effet « Canada Dry »

La stratégie se déroule en deux phases. Tout d’abord, on recrute massivement des notaires salariés, puis, pour brouiller les pistes, on supprime le terme « salarié ». Joli tour de magie. Mais le nombre de notaires titulaires est toujours figé. Mentir et manipuler n’est pas une solution viable. Alors quelles sont les pistes d’avenir ? Le concours d’offices créés est-il une solution ? Pourquoi certains notaires devraient-ils passer un concours pour exercer là où d’autres n’ont pour mérite que de pouvoir financer leur installation ? Cette inégalité d’accès aux fonctions d’officier ministériel est source de division au sein de la profession, elle oppose les titulaires du diplôme de notaire avec ceux qui, en plus, ont réussi le concours. Pour y remédier, certains ont imaginé une solution encore plus révolutionnaire que les précédentes. Il s’agirait de recenser les candidats à l’installation, justifiant du diplôme et d’un certain nombre d’années d’expérience. Il faudrait alors créer 500 postes par an et les attribuer aux candidats, sans pour autant leur donner la possibilité de choisir leur affectation. L’absence de prix de cession serait compensée par une interdiction de céder pendant quelques années. Celles et ceux souhaitant toutefois choisir leur affectation devraient alors envisager l’acquisition d’une étude traditionnelle. Solution qui pourrait faire rêver certains et inspirer des cauchemars à d’autres. En tout état de cause, compte tenu de l’absolue nécessité d’augmenter le nombre de notaires, le moment est bien venu de se réveiller.

1 – Corneille. Le Cid. Acte IV, scène 3.