La vision idyllique de l’association qui émane du dernier N2000 (n°480, décembre-janvier) m’a laissé un arrière-goût aigre-doux. Pourquoi un tel optimisme de la part de nos lecteurs ? Ceux qui vivent une association difficile n’ont-ils pas osé le montrer ? Les plus sceptiques – ceux qui la voient comme un mal nécessaire -, n’en ont-ils présenté qu’une facette édulcorée ?
Il pourrait en être de l’association comme du mariage, si ce n’est pire. Je connais beaucoup de notaires, des célibataires endurcis, des divorcés, des “qui se trouvent là comme ils pourraient être ailleurs”, baillant benoîtement dans leur train-train sans chercher plus, ni autre chose, mais des notaires absolument enchantés de l’association, je pense que je peux les compter sur les doigts d’une main. Qu’on ne se méprenne pas ! La grande majorité de mes confrères s’entendent “plutôt bien” avec leur(s) associé(s), parfois même ils sont amis, mais la plupart se rêveraient bien seuls maîtres à bord. Certes, il est plus facile de gouverner un frêle esquif qu’un grand navire, car, dans ce dernier cas, il y a souvent un “pacha”, entouré d’une palanquée d’officiers, officiellement au même niveau, mais dont la réalité quotidienne ressemble plus à une dictature qu’à un idéal démocratique.
Démocratie, égalité…
Comment être démocratique quand on est deux ? C’est là toute la difficulté du couple, sauf que dans l’association, il n’est pas rare de faire ménage à trois, quatre, voire de partager l’en-tête de ses courriers avec toute une tribu d’associés au point de remplir de noms la moitié de la page ! Comment régler à deux (ou plus) les problèmes qu’on n’aurait pas eu tout seul ? Je pense notamment au choix du personnel, aux investissements, aux rapports avec les clients (encore que là, c’est souvent chacun les siens et chacun pour soi), à “l’image” de l’étude, à la juste répartition entre les associés des bénéfices, aux frais kilométriques et de représentation (restaurants notamment), aux vacances… Tout cela devrait relever d’une cogestion rigoureuse nécessitant l’accord (même tacite) des autres partenaires. Comment éviter que l’un des associés ne se transforme en tyran domestique ? Comment gérer les envies d’ailleurs de ceux qui trouveront l’herbe du voisin plus verte ? Comment gérer les séparations et les divorces, les maladies et la mort ? Comment faire face aux violences sociétaires ? Beaucoup de questions et peu de réponses. Les plus psychologues d’entre nous y verront un défi formidable à relever, les managers passeront par les règlements inter-associés, des “pactes” adjoints aux statuts de SCP, les plus timorés se laisseront emmener, les plus forts les guideront. Et si deux ou plusieurs fortes personnalités se retrouvent à la tête d’une étude, ce sera le plus fort qui gagnera, qui imposera son point de vue, ses méthodes, jusqu’à ce que les autres se plient ou s’en aillent. Et tous les beaux règlements et pactes d’associés voleront en éclats sous un simple “coup de gueule” !
Revers de médaille
Pourtant, l’association est comme une forteresse assiégée : ceux qui sont à l’intérieur ne souhaitent qu’en sortir, ceux qui sont dehors ne rêvent que d’y entrer. Et ils sont nombreux à être en quête d’association ! Certains y sont contraints par la commission d’adaptation structurelle, d’autres le souhaitent vraiment, mais sont “asociaux”, “insoumis” (car dès que l’on est plus d’un, il faut nécessairement, même a minima, se soumettre). Ce sont nos rebelles et, comme tous les rebelles, ils font peur, même s’ils suscitent admiration, envie et parfois jalousie. Leur motivation est pourtant réelle. Ils aspirent à ne plus être seuls : • pour être juridiquement épaulés, mais l’est-on plus que lorsqu’on interroge un confrère et ami ? ; • Pour avoir plus de confort dans la gestion des tâches quotidiennes de l’étude, mais cela ne relève-t-il pas davantage d’un management auquel nous ne sommes pas formés ? ; • Pour partir en congé sans fermer l’étude, mais savent-ils que leur choix dépendra aussi de celui de leurs autres associés ? ; • Pour pouvoir se dire qu’en leur absence, leur associé fera face aux urgences. Pourtant, face à un dossier qu’il ne connaîtra pas, l’associé ne sera bien souvent pas meilleur qu’un bon collaborateur. On peut dès lors se demander s’il ne vaut pas mieux parfois fermer l’étude plutôt que de laisser s’accumuler pendant 15 jours un semblant d’activité… Toutes ces facultés offertes par l’association ne peuvent avoir lieu paisiblement que s’il y a une parfaite entente et, surtout, un immense respect entre les associés. À défaut, mieux vaut être célibataire que mal marié…