Il y avait déjà l’ «ancien monde», baptisé ainsi par les marcheurs qui prétendaient arpenter les champs florissants du «nouveau monde», et nous autres notaires étions naturellement classés comme vestiges de cette période forcément sombre, forcément primitive de l’évolution de l’humanité (car vous savez bien, la France, c’est l’humanité, le pays des droits de l’Homme, celui des Lumières !) même ceux parmi nous qui se baptisaient «2016» en affirmant n’avoir plus rien à voir avec ces infâmes «1816» n’étaient rien, aux yeux des néo-progressistes, qu’une phase transitoire, une expérience… Mais ça, c’était avant.

Un grain de sable dans la mécanique a réussi l’impensable : arrêter totalement la frénésie boulimique de l’humanité entière, ou presque. Tous les raisonnements antérieurs sont battus en brèche, toutes les certitudes s’effacent, le «monde d’avant», intégrant tant l’ «ancien monde» que le «nouveau monde», a vécu.

Nous voici dans «le monde d’après».

Vous y croyez ?! Il ne faudra pas très longtemps, une fois les masques tombés et les plexis remisés, pour que ceux qui ont accéléré les processus au point de nous mettre tous en danger reprennent, sans état d’âme, la course en avant que leur cupidité et leur soif de pouvoir dictent, et qu’ils nous invitent à (ordonnent de ?) suivre. Cette course, c’est leur vie, ils s’imaginent champions, mais à y regarder de près, ils ne courent pas. Ils sont «la tête» (vide, j’en ai peur), nous sommes les jambes.

Oh bien sûr, les médias diffusent aujourd’hui ce que l’on attend d’eux… On ruisselle de bienveillance à l’égard de ceux qui ont sauvé des vies, ces héros du quotidien que sont les personnels soignants, ils seront – n’en doutez pas ! – enfin considérés et on augmentera leurs rémunérations… Et puis ?! Le naturel reviendra au galop, les gestionnaires reprendront leur inlassable travail d’analyse des chiffres, leurs modélisations et les décideurs décideront dans le sens des intérêts de ceux… qui financent.

Les «soignants» seront de nouveau sacrifiés aux apparences, de la même manière qu’ont été sacrifiés les notaires de maillage et de tradition…

Car le notariat est entré, lui aussi, dans le «monde d’après»…

Jamais je n’aurais pensé voir «la profession» plier devant l’insistance des «professionnels de l’immobilier» et risquer son va-tout en acceptant sous des prétextes purement économiques de vendre son âme…

Car ce qui a été fait «provisoirement» n’est rien d’autre qu’une soumission aux règles de l’économie, une allégeance aux «hommes cupides» que REAL nous chargeait d’empêcher d’élever d’injustes contestations, la fin potentielle de la «fonction» notariale et avènement de cette fiction attalienne de l’«activité», élément d’un simple «marché du droit».

Où sont-ils donc, ces notaires qui tonnaient en tribune pour rappeler que nous étions «Officiers Publics de Plein Exercice» et exhortaient les foules des congrès à la dignité, à la retenue, à la prudence face aux nombreux miroirs aux alouettes ?!

Balayés par le vent de l’Histoire et les raconteurs d’histoire…

«La profession» feint aujourd’hui de s’intéresser aux «souhaits du client» (alors qu’il était acquis que le notaire n’a pas de «client», même si comme déjà dit, le terme pour désigner ceux qui font appel à nos services manque cruellement), tout en servant des «maîtres» dont la puissance a augmenté à l’occasion de chacune des dernières réformes et qui pensent construire – selon leur âge et leurs actions passées – leur légende, leur fortune ou leur empire sur les ruines de ce qu’avaient réussi les fondateurs du notariat de Ventôse.

«Le client» veut pouvoir signer ses actes électroniquement, vautré dans un canapé en short et en tongs, regardant d’un œil le match de foot en « picture in picture », commenté dans l’oreillette qu’il aura préalablement affectée à suivre les commentaires ? Donnons-lui cette chance ! C’est tellement réjouissant de lui faire plaisir…
Et tant pis si il n’a plus aucun souvenir de la signature, s’il n’a rien compris parce que rien écouté ; s’il a signé pour se débarrasser parce que le match le passionnait plus que le langage technique et la forme indigeste de nos actes normalisés.

En fait, ne serait-ce pas plutôt une façon pudique de dire : «par l’acte électronique, j’ai satisfait ma paresse naturelle en m’évitant de tourner des pages et j’ai gagné beaucoup de temps sur la réception (j’entends bien les objections «quand ça marche» c’est un autre sujet ! Pour eux, ça marche) même si je ne mesure pas encore réellement toutes les conséquences potentielles» avant d’ajouter «je ne pourrai plus avoir recours aux clercs habilités à la fin de cette année, les notaires salariés au nombre de deux au lieu de quatre actuellement, ça ne suffit pas, il devient vital de faire plus vite et sans que ça ne me contraigne trop, et là… C’est génial ! le COVID m’aura fourni le prétexte idéal : signature en quelques minutes à distance, pas de temps d’attente, pas de temps de trajet et rémunération identique… En plus, on m’identifie par un code pin sur une clef qu’il est sans doute possible de virtualiser… Je vais bien trouver un jour le moyen de signer sans être présent au bureau… Avec le fond d’écran de substitution, je pourrai même signer depuis ma terrasse, et en bidouillant un peu, rester en maillot de bains sans que les clients ne s’en rendent compte un seul instant…
Et avec l’argent qui rentre ainsi, sans effort, je pourrai investir dans l’intelligence artificielle et bientôt supprimer les frais de personnel… Oh et puis, pourquoi le faire moi-même ?! La CINP le fera pour moi, et je suis sûr que l’ADSN plumera mes pitoyables confrères en leur vendant à prix d’or des prestations lamentables qui lui permettront de financer ces outils à mon service» ?

L’abus des clercs habilités, le notaire «hors d’âge» auquel on apportait sur des petits chariots les actes qu’il signait avant de retourner à sa douce vie, ça ne vous rappelle rien ?! Qu’était-ce donc si ce n’est ce même genre d’abus ?!
Le tarif a apporté à certains d’entre nous, non en raison de leur compétence particulière (encore qu’il en faille une, à n’en pas douter pour concrétiser ces opportunités sans que personne jamais n’y voie un abus et un détournement des règles professionnelles) mais pour ainsi dire uniquement en raison de leur situation «géofavorisée» les moyens en temps, en hommes et en technologies de façonner «la profession» au mépris des notaires de base, de lancer une compétition stupide autant qu’improductive avec les professions voisines, qui souffrent du même mal…
L’avocat (plaidant) de base n’a cure des manœuvres du CNB, dont les résultats parlent bien plus aux avocats (d’affaires) des grands cabinets urbains.
L’agent immobilier (de terrain) n’a aucun besoin – ni le temps- de se lancer dans des conflits chronophages qui préoccupent bien plus les grands groupes ou réseaux à vocation hégémonique.

Quant au «client»… Son rêve est-il d’être plumé électroniquement en payant un prix variable dans un monde dématérialisé de libre concurrence ? Pour certains, peut-être, qui ont le temps de comparer et chercher ou ne comptent plus et assument les risques parce qu’ils sont à l’abri du besoin, mais pour l’immense majorité d’entre eux, ne serait-ce pas plutôt de pouvoir faire confiance et payer un prix prévisible et «juste» auprès du professionnel de leur choix, fut-il nécessaire de se rendre en un lieu précis pour matérialiser de façon pérenne le choix libre et éclairé dont rien, ou presque, ne pourra ensuite altérer la représentation ?!

«Le client» ne «veut plus» se déplacer pour signer ? Ne lui prêteriez-vous pas plutôt vos propres intentions ? Et puis, ce fameux client… «Voulait-il» être confiné ? Il a pourtant bien accepté ce que l’on pensait incompatible avec le caractère français.
Il est bon parfois d’être intransigeant et c’est ainsi, généralement, que l’on gagne le respect ; à trop vouloir servir, à trop flatter les bas instincts, l’Officier Public Notaire ne se distingue plus clairement du «marchand de pommes cuites». Il ne nous appartient pas d’être des moteurs de décadence.

Je suis un ringard ? Peut-être… Mais au fond nooooon ! Je suis «vintage» et je veux produire de l’authenticité artisanale bio «de tradition» avec appellation d’origine contrôlée, et ça n’a pas de prix ! Mais si vous voulez faire de la confection industrielle c’est votre droit ; je ne regrette qu’une chose, être obligé de subir les «administratifs métier», (500 selon le Président du CSN !) qui entravent de plus en plus le plein exercice de la fonction, sous prétexte de développer un service dénaturé pour le bon plaisir de quelques-uns :-)

Le monde d’après est là… Peut-être est-ce temps de se poser les questions autrement, d’envisager un futur respectueux de nos racines, si possible avant qu’un apiculteur reconverti ne décide de revenir sur les questions qu’il posait en 2014, sans que nous ne puissions plus, cette fois, lui opposer aucun argument valable, aucune démonstration probante… Le virus, là aussi, proviendrait-il de Chine ?

Nous devrions sans doute envisager de prendre «un monde d’avance». Qui mieux que le notariat (dans la définition donnée par Pierre François REAL, pas dans ce que certains d’entre nous en ont fait !) incarne le service public idéal ?! Ne soyons pas modestes : nous ne sommes pas le monde d’avant, nous étions ce que le monde d’avant avait créé de mieux, il suffit d’y croire et d’en accepter l’augure pour rester présents et viser l’éternité.