Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais ma vie a littéralement basculé au mois d’août 2014. Rien ne le laissait pourtant présager, et la vie aurait pu se poursuivre ainsi, tranquille, au sud, plus d’un million d’années, et toujours en été… Au sud, oui, de ma banlieue nord car, comme de nombreux indésirables, j’habite en banlieue nord, et le fait qu’elle soit celle d’un village de 52 habitants bipèdes ne change rien au problème. La banlieue nord, c’est pas pareil.

C’est souvent en banlieue que s’installent les migrants… On ne sait ni d’où ils viennent vraiment, ni pourquoi ils sont arrivés précisément là, mais on les subit, plus qu’on ne les accueille, il faut faire avec.

L’arrivée de l’étrangère

C’est ainsi que j’ai vu arriver cette étrangère. Elle s’est installée là, sans me demander mon autorisation, mais il y a de la place, je ne l’ai donc pas chassée… J’étais du reste trop occupé à scruter les réseaux sociaux et à diffuser sur la Boite à Idées du portail CSN pour réagir à une intrusion qui, disons-le clairement, me semblait un événement aussi provisoire que secondaire… Elle est donc restée, fouillant à l’occasion les poubelles en quête de reliefs de repas pour compléter une alimentation qui semblait prélevée dans la nature… Pris de pitié, je me mis même à lui déposer quelques produits alimentaires, en faisant semblant de rien, pour ne pas heurter sa dignité. Elle faisait mine de ne rien voir, et s’en saisissait avant de s’enfuir à toute allure dès que je tournais le dos… On se laisse toujours attendrir, et c’est le début de la catastrophe. Après quelques jours d’approche paraissant innocente, elle révéla sa vraie nature en venant s’installer, cette fois d’une manière très effrontée avec ses quatre enfants. Elle avait vu ma faiblesse, elle avait compris que je ne pourrai pas me résoudre à mettre dehors cette famille nombreuse et qu’ils pourraient tous vivre à mes crochets…

Fiscal, Public, Constit’ et Civil…

Mon épouse, toujours plus attentive que moi à l’économie domestique (et professionnelle, cela va de soi !) me fit alors remarquer ma transformation : « Mais, tu t’occupes d’eux maintenant ? Pourtant, jusqu’à présent, tu prétendais ne pas les aimer ! ». Et c’est la pure vérité, je le confesse, je suis – enfin, j’étais- un ignoble raciste, je n’aimais pas les CHATS ! Cherchant une réponse adéquate,  je n’en trouvais qu’une sur l’instant : « Rien n’a changé, mais eux, ils ont le droit ! ». Et la petite famille fut alors baptisée : Fiscal, Public, Constit’ et Civil… Leur vie au sud de la banlieue nord s’organisa, nous en avions pris notre parti, et apportions aide et subsistance, sans pour autant les autoriser à s’installer dans nos murs. Du reste, ils n’essayaient même pas. Mais la nature est cruelle pour les chats, les automobiles et les chasseurs bien plus encore ! C’est du reste pour cette raison que j’évitais de m’attacher à un félin, car sauf séquestration permanente, tous ceux qui avaient précédemment fréquenté le quartier avaient tôt ou tard « disparu » en traversant le périphérique pour aller dans la banlieue sud de la commune à côté… Un jour, la mère ne revint pas, puis Fiscal disparut, suivi de près par Public. Seules restèrent Civil(e) (devenue bizarre après avoir été enfermée par mégarde dans un local où sa curiosité l’avait entrainée) et Constit’… Comme les espoirs du notariat après la loi Macron, un à un mes squatters félins succombaient…

Des jeunes vinrent s’installer

En août 2016, contre toute attente, la petite communauté connut un renouveau. Clin d’œil du destin, deux mois pile après la parution de l’avis 16A13 de l’autorité de la Concurrence, des jeunes vinrent s’installer librement dans ma banlieue dans l’espoir de partager les croquettes avec ceux que j’avais cooptés antérieurement. Je ne dis pas que j’en étais heureux (j’ai toujours une préférence pour les chiens !), mais je n’avais pas le cœur à les priver de leur chance, et je les laissai donc vivre leur vie. L’un d’entre eux semblait bien fragile, souffrant manifestement de problèmes locomoteurs, très petit et très faible par rapport à ses frères et sœurs, je n’aurais pas parié un sou sur sa survie, trop petit, trop faible… Je me souviens même lui avoir dit, à notre première rencontre, « mon pauvre, tu ne tiendras pas longtemps, j’en ai peur… ». Les trois autres étaient pleins de vie, et évoluaient à vue d’œil tandis que lui, péniblement commençait à se déplacer de quelques mètres, rasant les murs pour s’équilibrer. Et puis l’inattendu survint… Le plus hardi disparut d’un coup, laissant sa mère et ses trois frères et sœurs nerveux et agités. Le lendemain, la famille entière avait disparu, seule la mère revenait se nourrir au distributeur installé à leur intention. Je l’accusais alors d’avoir voulu se débarrasser de ses petits, mais il n’en était rien ! Elle revint, avec deux d’entre eux seulement dont le petit, qu’elle devait parfois porter, même s’il avait fait quelques progrès. Tous trois passaient leurs journées cachés sous la ramure des haies, même si le dernier des trois audacieux tentait parfois quelque sortie. Sa témérité, comme celle de ses deux frères lui fut fatale. L’ennemi venait d’en haut, et emporta le dernier chaton valide. Un rapace avait mis du chat à son menu.

Petit mais fûté

Et le dernier des chatons me direz-vous ? Eh bien il a grandi, il s’est développé et a surmonté seul les difficultés provoquées par son handicap ; il a compris qu’avec un plafond au-dessus de la tête, il était à l’abri des rapaces en piqué. Il ou plutôt elle est donc entrée, et s’est installée dans nos vies. Elle a su se faire apprécier de tous et vit maintenant un hiver confortable alors que ses sauvageonnes de mère et de tante continuent à jouer aux chats sauvages. Elle a été cooptée… mais n’a pas été mangée par les prédateurs. Elle a même pris le dessus sur un chat adulte bien plus gros qu’elle, qu’un inconnu a abandonné dans notre banlieue nord, et qui soigne péniblement ses névroses de paria rejeté et dépendant à nos côtés. De son handicap de départ, elle a même fait une force : plus observatrice, plus économe de ses mouvements, plus efficace, mais surtout heu-reu-se !!!

Vous me direz que cette histoire n’a rien à voir avec le notariat ? Regardez mieux et levez la tête, au-dessus de vous aussi planent les rapaces, et ce ne sont pas forcément les plus forts, les plus voyants, les plus audacieux qui survivront à l’adversité…

Didier Mathy, notaire à Sagy (Saône-et-Loire)