Bertrand Savouré est le nouveau président de la Chambre des notaires de Paris depuis juin. Il nous dévoile son programme, sa vision du notariat et nous fait part de ses convictions. Interview
Quels sont vos projets pour les 2 ans à venir ?
Notre programme est bâti autour de trois axes :
Le 1er axe : Nous voulons promouvoir le développement et la diversité des offices et des modes d’exercice autour d’une identité notariale renforcée. Un office est une entreprise qui doit se développer, c’est ce que nous demandent nos autorités de tutelle. Mais ce développement doit se faire à partir d’une identité nationale notariale forte et acceptée par tous. Elle est fondée sur notre relation de confiance avec l’Etat et avec nos clients. Elle implique une déontologie actualisée, et le respect de nos règles communes. Concrètement, nous allons travailler sur ces règles et proposer des adaptations.
Nous allons aussi expliquer aux offices qu’ils doivent se développer comme entrepreneurs et que c’est leur responsabilité propre pour un notariat moderne.
2e axe : Nous voulons promouvoir l’innovation que je conçois comme une démarche, un état d’esprit. Il s’agit de se mettre un peu en danger, d’imaginer les choses différemment, d’examiner notre métier sous un autre angle :
D’une part, cela porte sur la relation avec nos clients, qui doit être plus réactive, plus efficace, plus simple.
D’autre part il y a évidemment l’aspect technologique et chacun sait que le notariat a su prendre les bons virages en cette matière : la signature électronique, la visioconférence… mais il faut accélérer.
D’une manière générale, l’innovation dans tous les domaines est l’affaire de tous et chacun doit apporter sa contribution.
Aussi, à Paris, nous avons pris 3 initiatives :
- Premièrement, nous avons créé une Chambre Juniors dénommée « Paris Jeunes Notaires ». Une vingtaine de collaborateurs, tout juste sortis de l’université ou de formation professionnelle, sont regroupés au sein de cette chambre junior et réfléchissent sur les mêmes sujets que nous, la Chambre des Notaires, afin d’apporter leur regard neuf et partager avec nous leurs réflexions.
- Deuxièmement, nous avons créé le groupe « initiative et innovation ». Une quarantaine de notaires se réunissent deux fois par an, et ont pour mission d’imaginer demain de façon très libre.
- Troisièmement, nous avons voté en assemblée générale, le 1er juin, la création d’un fonds financier, que l’on appelle le fonds d’innovation. Nous souhaitons en effet investir dans des entreprises, des start-up, qui ont un lien avec le notariat.
Ce peut être en rapport avec l’intelligence artificielle, avec des logiciels ou le suivi de clientèle… Le but est d’investir dans des start-up qui pourraient être utiles à notre profession.
3e axe : enfin, nous souhaitons développer l’ouverture sur l’extérieur, vers nos clients et surtout sur notre territoire. Les notaires sont des « acteurs de la cité » et acteurs du développement de leur territoire, au même titre que les collectivités, les experts comptables ou les avocats par exemple et doivent se comporter comme tels. En tant qu’officiers ministériels et officiers publics, nous avons cependant une responsabilité particulière et nous devons affirmer cette voix singulière. Concrètement, cela veut dire participer à davantage de débats. C’est l’objectif que nous avons assigné au Club du Châtelet qui existe déjà à Paris et qui est un lieu d’expression, de réflexion, de débats autour de sujets de société et d’actualité.
Considérez-vous la Chambre des notaires de Paris comme une instance à part ?
Pas du tout, c’est une instance comme les autres. Cependant, nous avons, comme d’autres Chambres, nos particularités et aussi notre singularité qui doit s’exprimer pour le bien collectif de la profession.
Nous sommes très nombreux, près de 1350 notaires aujourd’hui, et nous nous trouvons dans une ville ou un territoire où il existe beaucoup de diversité de clientèle, ou géographique. Plus de 60 % des offices créés viennent de l’extérieur de Paris. Il y a aussi une très grande diversité des offices. D’un côté nous avons des études qui comptent plus de 200 collaborateurs et, d’un autre, des notaires individuels. Nous avons également beaucoup de notaires salariés (près de 40 %). Donc, notre population notariale est très spécifique.
Dans les actes que l’on réalise au quotidien, il y a des actes traditionnels naturellement, en droit de la famille, en droit immobilier et en droit international, mais il y aussi, peut-être plus qu’ailleurs, des actes très importants d’investissements immobiliers.
Voilà plusieurs exemples qui montrent que la Chambre des Notaires de Paris est une Chambre particulière dans son fonctionnement, dans sa clientèle, dans son territoire. Mais beaucoup d’autres Chambres ont leur propre singularité aussi.
Avez-vous l’impression que, parfois, il y a un certain ressentiment envers les notaires de votre compagnie ?
Oui, nous le ressentons parfois et cela s’explique aussi par la place particulière de Paris dans la France depuis toujours. L’hyper centralisation de notre organisation se ressent partout, même si la tendance est peut être à la décentralisation. Mais nous discutons régulièrement et échangeons beaucoup avec nos homologues d’autres métropoles, et je constate qu’il existe une excellente entente et une collaboration très amicale avec les autres Chambres. J’ai aussi l’impression que l’on attend plus de la Chambre de Paris. Nous avons, je crois, une responsabilité pour notre profession. On attend de nous plus d’innovation, plus de rigueur, un certain exemple….
Pensez-vous que la profession est réellement unie ?
Oui je le pense. Parfois, on prend des voies différentes. Il est évident que la Chambre des Notaires de Paris ne portera pas toujours le même message que des Chambres de notaires plus rurales. Mais c’est la diversité de notre profession, dans l’unité, qui fait notre force. Le CSN assure la représentation de notre profession et la cohérence et la coordination de toutes les instances et nous voulons avancer comme cela. D’une manière générale, il ne faut pas confondre unité et homogénéité, le notariat de France n’est pas homogène, par contre le notariat de France est uni. Nous avons la même identité notariale, nous avons la même obligation vis-à-vis de nos clients, vis-à-vis de l’État. Mais nous avons une diversité qui est notre force. À condition que cela soit au service d’une identité notariale commune.
Que pensez-vous de la loi croissance du Président Macron ?
La loi croissance va avoir trois ans. Nous avons accueilli les jeunes notaires. Nous sommes passés à l’étape suivante. Ce qui est important, c’est la transformation profonde de notre société. Le notariat s’est mis en mouvement grâce aux efforts conjugués de tous les notaires, des instances et du Conseil Supérieur du Notariat. La loi Croissance a participé à cette évolution, nous l’avons accepté. Nous sommes en train de réussir ce changement, il faut continuer dans ce sens.
À Paris, les notaires créateurs sont-ils bien accueillis ?
Oui, nous avons fait plusieurs conférences à Paris, ils ont été conviés et ils sont venus. Nous les avons aidés dans leur développement. Nous sommes en train de mettre en place un suivi personnalisé pour ceux qui le souhaitent. Ce travail porte ses fruits.
Est-ce que la plume unique est un progrès ?
Oui, cela fonctionne d’ailleurs depuis longtemps dans la Compagnie de Paris et celle des Hauts-de-Seine. Nous trouvons cela très pratique. Un seul notaire est rédacteur, ce qui n’empêche pas la participation de l’autre notaire, le notaire du vendeur chez nous, et cela se passe très bien.
Comment voyez-vous évoluer le notariat ?
Je crois que le notariat a tous les atouts pour devenir essentiel dans le fonctionnement de la société de demain. Plus que jamais, nous avons besoin de confiance. Or, le notariat c’est le service public de la confiance. La question majeure est : est-ce que les notaires vont réussir à faire évoluer leur mode de fonctionnement, à s’adapter pour servir les besoins des clients ? C’est là que réside l’enjeu. Je suis cependant très confiant. Si c’est le cas, et si nous restons très vigilants, nous serons indispensables, parce que le besoin du notaire est très fort.
Quelles sont les qualités pour être notaire en 2018 ?
Il faut savoir être proche de ses clients, aimer les recevoir et traiter avec eux. Nous sommes une profession de service. Il faut aussi être rigoureux et être expert. Nous sommes une profession garant de sécurité et de confiance. Et puis être doté de cette capacité d’innovation et de mouvement, être résolument tourné vers l’avenir.
Propos recueillis par Nathalie Duny en juillet 2018