Récemment, Arnaud Hote se demandait si la France méritait encore ses notaires (cf. Notariat 2000 n°553, été indien, page 14). La seconde partie de sa réflexion est consacrée à la prédominance des normes anglo-saxonnes, exemples à l’appui.
La prochaine « réforme (par ordonnance…) du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations » verra le chamboulement des articles 1101 à 1386-1 du code civil :
- Art 1190 : « dans le doute, une obligation s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur.«
- Art 1196 : « si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assurer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat. A défaut, une partie peut demander au juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.«
S’ils sont adoptés, ces textes sonneront le glas de la conception française du contrat et de notre article 1134 du Code Civil : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites…« . La sécurité juridique passera-t-elle bientôt par le juge et des kyrielles d’avocats ?
L’influence anglo-saxonne est partout !
Deux autres exemples.
- Le règlement européen sur les successions est entré en vigueur en France le 17 août dernier. Un ressortissant britannique habitant en France et ayant l’essentiel de ses intérêts sur le sol français peut désormais décider que sa succession future sera réglée selon la loi britannique, laquelle, rappelons-le, ne connait pas l’institution française de la réserve successorale. Encore une notion juridique française fondamentale risquant d’être mise à mal par ce règlement européen d’inspiration anglo-saxonne.
- La norme anglo-saxonne ISO 9001 dans le cadre d’une politique d’audit de la qualité. A ce sujet, plusieurs critiques se sont élevées dans le notariat concernant le montant des investissements financiers requis pour parvenir à la certification, et la démesure du volume de documents engendrée par la certification ISO. Ainsi, les standards ISO feraient primer l’aspect procédural de leurs normes sur l’aspect qualitatif de l’activité concernée à proprement parler. Le protocole ne ferait que renforcer le sentiment d’oppression du travail sans pour autant en améliorer la qualité. C’est au final un comble puisque le but recherché n’est pas atteint mais simplement son mirage (la qualité de la procédure mise en œuvre mais pas celle du résultat fini). En clair, un mauvais notaire ne sera pas meilleur juriste avec la certification ISO 9001 ; il n’en aura que l’apparence. Tenir une certaine ligne de conduite dans le cadre d’une démarche qualité ne dispense pas de la réflexion de fond sur l’amélioration réelle du travail. Or, les « heureux certifiés » ne sont pas loin de penser que « la certification induit une meilleure qualité les dispensant d’accomplir leur propre démarche qualité ». L’habit fait toujours le moine… Une fois de plus, l’apparence prime sur la réalité et le concret (je connais des notaires certifiés qui n’ont jamais entendu parler de rétablissement de communauté…).
Rev TEGoVA aussi !
Dans le droit fil de ce qui précède, la norme REV TEGOVA risque bientôt de revêtir les mêmes habits d’apparat que sa cousine germaine ISO. Cette norme, édictée par une directive européenne du 28 janvier 2014, vise à uniformiser les règles d’évaluation des biens immobiliers à usage résidentiel lorsque ceux-ci font l’objet d’un prêt bancaire avec hypothèque. La notion de responsabilité revenant en force, l’idée est tout naturellement venue à l’esprit de la Commission européenne de s’appuyer sur le concept de « prêt responsable » dans un cadre d’information et de protection des consommateurs de manière à « reconstruire et renforcer la relation de confiance entre l’emprunteur et le prêteur« . Le consommateur a bon dos, vous l’aurez compris, et le but de la manœuvre, à n’en point douter, est à terme de rafler l’immense marché de la garantie réelle, apanage des notaires français… Et nombre de nos confrères de se précipiter benoitement aux séances de formations à l’expertise, déjà complètes, de manière à pouvoir monter leur dossier de certification REV TEGOVA pour la date fatidique de l’application de la directive en mars prochain !
Normes universelles : attention, danger !
On ne prend pas assez en compte, à mon sens, le danger de l’adoption de normes universelles de surcroît anglo-saxonnes telles que ISO ou encore REV TEGOVA. Celles-ci tendent à uniformiser et à rigidifier la réflexion sans pour autant tenir compte des spécificités inhérentes à chaque pays. La question essentielle à se poser est la suivante : la standardisation des pratiques tant actuelles qu’à venir est-elle pertinente et opportune ? Outre l’appauvrissement intellectuel que ce genre de standardisation peut impliquer, le risque de la perte d’influence du droit français dans le monde est réel. Pour s’en convaincre, il suffit de faire le parallèle avec les normes IFRS (International Financial Reporting Standard ou Normes Internationales d’Information Financière en français) qui ont bouleversé le paysage financier européen. Elles furent instituées à l’initiative des Américains (qui ne l’appliquent pas eux-mêmes !) et sont aujourd’hui effectives en Europe en tant que normes comptables internationales. Il s’agit là, sans nul doute, d’un véritable danger du type « cheval de Troie » pour les entreprises européennes et françaises. La combinaison de ces normes comptables avec la loi Sarbanes-Oaxley 2 (SOX02) et le Patriot Act constitue un formidable piège normatif. En effet, si les normes IFRS obligent les entreprises à transmettre certaines informations stratégiques, la loi Sarbanes-Oaxley – qui a créé en 2002 le PCAOB (Public Company Accounting Oversight Board) afin de superviser les audits des entreprises cotées – permet d’étendre les investigations en dehors des États-Unis afin d’obtenir des informations stratégiques, tandis que le Patriot Act oblige les institutions financières (telles que le PCAOB) à transmettre lesdites informations aux services de renseignements.
Arnaud Hote