Eh, oui, que voulez-vous, je suis marqué par le destin : ma ville natale est en effet baignée par une rivière, affluent de la Saône, qui porte le doux nom de Seille. Particularité des rivières : elles servent aussi à l’éducation des enfants ! C’est ainsi que lorsque je disais « je m’ennuie« , on me proposait d’aller « battre l’eau de la Seille pour la faire tourner en vin » (en vain aurais-je essayé…) et lorsque je disais qu’un de mes copains voulait faire quelque chose que mes parents réprouvaient, ils me répondaient : « Et si tous les idiots allaient se jeter en Seille, tu les suivrais ? » Conséquence ? Avant de suivre le troupeau, je me pose des questions… et je finis par prendre une autre voie. Ce qui nous amène, par une voie fluviale détournée, à évoquer le « conseil gratuit » !
A priori, dès que le notariat fait quelque chose pour se mettre en valeur, c’est du conseil gratuit. Et ce n’est pas nouveau, puisque dès les années 70, à l’initiative du Mouvement Jeune Notariat, à l’époque fer de lance du volontariat « bouillonnant d’idées« , les « Rencontres de Maillot » avaient axé la communication sur la gratuité du conseil. Est-ce en « conseillant gratuitement » que nous nous mettons réellement en valeur ? Permettez-moi d’en douter ! Et pourtant, en terme de conseil gratuit, j’ai déjà donné, croyez-moi !
Curieusement, les opérations de conseil gratuit commencent toujours en « grandes villes » (Paris pour Maillot, Nantes pour Conseil du Coin), puis elles obtiennent un soutien national, et on vous montre du doigt si vous ne participez pas, et on les duplique dans toute la France, en faisant l’argument « majeur » de notre communication. Bien sûr, ceux qui y participent sont « heureux » du succès éclatant de la manifestation, mais qu’en reste-t-il, au fond ?!
Si nous conseillons « exceptionnellement » gratuitement, on peut en déduire que d’habitude le conseil est payant ! De ce point de vue, le Conseil du Coin en misant sur un lieu incongru introduit une variante intéressante : si vous êtes timide pour franchir la porte d’une Etude, le notaire vient à vous, et il vous offre même un café ! Mais si le concept est recevable en ville, on imagine mal les ruraux venir étaler leurs problèmes à côté d’un voisin qui tend l’oreille en sirotant plus lentement qu’à l’ordinaire le breuvage apte à satisfaire son manque du petit matin…
Curieusement, dans certains départements, la première réaction à l’annonce d’une réforme avait justement été de cesser tout conseil gratuit, car nous donnions, depuis des années, ces fameux conseils dans les centres sociaux, mairies, maisons de justice et du droit et autres Chambres de notaires… Mais curieusement aussi, nous n’avons pas remarqué que nos « amis » avocats pratiquaient une philanthropie feinte, en communiquant très intelligemment. Le conseil est -majoritairement- gratuit chez les notaires au quotidien, et EN PLUS, les mêmes notaires prennent sur leur temps et se déplacent pour venir aux clients qui n’oseraient pas venir à eux… Le conseil est -majoritairement- payant chez les avocats au quotidien, mais PARFOIS, ils consentent à conseiller gratuitement pour une demi-journée, ou une journée exceptionnelle en tel ou tel lieu… Qui d’après vous sait « se vendre » et qui finalement n’a « rien compris » ?
Mais, me direz-vous, comment faire alors ? Si notre seul argument nous est retiré, que nous reste-t-il ? Est-ce vraiment notre seul argument ? Est-ce le fait de conseiller gratuitement qui fait de nous les juristes de proximité dont personne ne devrait se passer ? Je ne le pense pas. Mais quoi d’autre, alors ?
La seule chose qui aurait pu réellement nous permettre de sortir de l’épreuve grandis, de renvoyer ses arguments à un gouvernement démagogue dont les ministres eux-mêmes se déclarent « comédiens » (regardez la passation de pouvoir entre Montebourg et Macron https://youtu.be/5ba7RlZPfs4?t=7m31s) tient en un mot : TARIF.
Nous sommes aujourd’hui montrés du doigt en raison d’un tarif dont nous n’avons pas été les créateurs. Tout au plus, le notariat avait-il été consulté lors de sa création et de ses nombreuses réformes, et on peut légitimement se demander qui nous a défendus et comment, tant le résultat est nuisible. Nous avions la possibilité, rare, de prendre notre destin en mains et d’agir à la fois contre et avec le projet de réforme pour en proposer une nouvelle approche. Le CSN, en tant que représentant de l’ensemble de la profession aurait dû, il y a plus d’un an, mettre en œuvre une analyse en profondeur des mécanismes tarifaires et de leurs conséquences, pour faire émerger un projet remplissant tous les objectifs prétendument visés par le Gouvernement. Ce projet, pour peu qu’on ait réellement pu le tester avec tout le recul nécessaire et qu’aucune « surprise technique » ne soit venue contredire nos intuitions et les tests partiels réalisés entre nous, aurait séduit à la fois le gouvernement, les notaires et le « grand public », qui doit toujours être au centre de nos préoccupations. Au lieu de cela, le CSN a semé la discorde tout en prônant l’unité, fermé les oreilles tout en poussant le notariat à pousser des cris de détresse, payé des sociétés étrangères et même susceptibles d’avoir un intérêt indirect à notre disparition pour assurer notre communication et notre défense…Même le conseil du coin, au début, n’avait pas ses faveurs, et pourtant il l’a finalement adoubé et soutenu au point d’en faire, pour ainsi dire la seule et unique action d’éclat…
Et la boucle est ainsi bouclée…Tous ensemble dans un grand élan (CDC ?) nous assumerons les conséquences d’une loi que nous aurions pu améliorer si nous avions réellement apporté une solution « révolutionnaire » à la fougue réformatrice de notre gouvernement… Qu’est-ce qui me permet de dire que cette solution aurait été la bonne, qu’elle aurait été acceptée, que c’était là la voie à suivre ? RIEN je vous le concède, mais comme nous n’avons même pas eu l’occasion de le vérifier, et alors que nous pouvions analyser, modéliser, tester des utopies tarifaires pour déterminer la meilleure et tenter d’en faire adopter le principe, nous n’aurons aucun choix à l’égard du nouveau tarif qui nous sera imposé.Il faudra vivre avec… Vivre ou mourir… Et comme toujours, bien sûr, avec le sourire, dans la joie du devoir accompli.
Didier Mathy