En ma qualité d’obscur tabellion de province, je sors en rendez-vous extérieur pour un inventaire de succession. Je prends ma canne et mon chapeau, mon papier, ma plume d’oie, et ma calculette (mon boulier, on est un peu rustique chez nous). Mais je m’empare aussi de mon guide de la taxe des actes, dernière édition…
Je m’aperçois aussitôt que, pour lire ce guide de la taxe des actes, il faut tout d’abord compulser un petit opuscule que l’on peut, sans ambages, intituler « le guide du guide ». Ainsi, le notaire est tenu de respecter à la lettre (ou plutôt au chiffre) un tarif légal et complexe pour lequel il a besoin non seulement d’un logiciel comptable « pointu », mais encore, lorsqu’il sort, d’un guide de ce même tarif, lui-même précédé d’un « guide du guide » ! Quoi de plus simple, de plus moderne et de plus efficace pour faire correctement son métier !
Calcul des frais de plus en plus souvent contesté
Mais ce n’est pas tout ! En effet, aujourd’hui, bon nombre de clients conteste le calcul de frais. Non pas du notaire lui-même, mais du logiciel comptable obligatoire, en excipant que, eux, sont beaucoup plus perspicaces, et qu’ils ont calculé d’avance leurs frais sur… le site du notariat « himself » ! Bientôt, si tout va bien, on ira vers un système de relations avec la clientèle, dans lequel le client pourra accéder directement à son propre dossier. Pour moi, c’est l’horreur abyssale, mais pour les jeunes confrères et consœurs qui débarquent sur « l’aire de loisirs, de paix, et de sérénité » qui s’annonce dans la profession, « ça se fera sur une jambe », à n’en pas douter !
Paul-Etienne Marcy, notaire à Argentat
Le paradoxe de la réforme tarifaire que nous subissons (durement pour les écrêtés) c’est que le tarif n’est plus, maintenant « national », et ne peut l’être puisqu’il est, plus qu’avant, sujet à interprétations fantaisistes de la part des notaires quand ce n’est pas de leur comptables…
Pour ainsi dire à chaque fois qu’une participation est engagée, la question de la facturation devient centrale, au point que les notaires négligeront les informations utiles ou essentielles de l’acte pour pinailler sur l’application ou non de tel ou tel point du tarif, et les conditions dans lesquelles ont été facturés les « honoraires libres » qui pour être libres s’en trouveraient plus encadrés que jamais.
Le tarif, n’en déplaise à nos « chers » confrères qui se veulent libéraux, est la condition même d’un service public véritable, il se doit impérativement d’être équitable, lisible, national et invariable, faute de quoi nous rajouterons à la cohorte des défauts dont nos concurrents et ennemis de tous poils et plumes nous parent celui d’une facturation « à la tête du client »
La proposition de l’association Res-Iste, écartée sans la moindre analyse par les « grands » notaires qui peuplent nos instances est, j’en ai peur, la SEULE solution (sur le principe, puisque la forme elle-même n’a pu, du fait du refus du CSN faire l’objet d’une simulation grandeur nature) pour préserver la nature profonde de notre fonction.
Certains, aujourd’hui se disent attachés à la « profession », ou encore plus récemment à l’ « institution » du notariat, ils font fausse route ! Le notariat est, par essence, la « fonction » dont le but ultime est comme le soulignait Pierre François REAL « enlever aux hommes cupides, avec l’espoir du succès, l’envie d’élever une injuste contestation »…
Et REAL d’ajouter que les notaires devaient être « désintéressés », ce qui n’a pas manqué de générer moqueries et colibets de la part des détracteurs du notariat mais mérite d’être expliqué : certes le notaire n’est pas (ni lui ni ses collaborateurs) un « bénévole », mais s’il doit être (par l’effet du dumping, ou d’un tarif mal adapté) « son pain cherchant », nul doute qu’il le cherchera par tous les moyens, au détriment du service…
Libéraliser la fonction, c’est la supprimer virtuellement.
Maintenir la fonction suppose de retailler ce qui gêne aux entournures, c’est pourquoi le Collectif Notariat Debout, avant que certains de ses membres ne cèdent aux appels de l’autorité « supérieure » proposait de travailler à une véritable « loi organique » du notariat, révision du monument que constituait la loi de Ventôse dans un but de modernisation et de moralisation…
Mais les « hommes cupides » sont aux commandes, leurs moyens (provenant du tarif de 1978) les rendent presque intouchables, et ils peuvent se permettre d’affirmer sans rougir qu’on ne peut envisager « un tarif social » (dénigrant ainsi les notaires mailleurs en les réduisant à un rôle de cas sociaux) parce que « certains » d’entre nous « tireraient en fait une part trop importante de leurs ressources de ce dispositif ».
Que certains notaires bénéficient du tarif de 1978 et plus encore de celui de 2016 et en tirent une part trop importante de leurs ressources n’a aucune importance, puisque ce sont les « élites du notariat »
Que les notaires mailleurs souffrent ou périssent en raison de ce même tarif n’a aucune importance puisqu’ils « sont incompétents et ne savent pas se diversifier ».
Un tarif tel que celui que nous proposions permettrait au client de savoir au centime près quelle sera le montant de sa facture quel que soit le notaire qu’il choisirait, le site de la profession permettant le calcul deviendrait « parole d’évangile » et nous ne verrions plus se multiplier les indications fantaisistes…Trop simple ?! Non, rien n’est jamais trop simple, mais si nos élites le craignent, c’est uniquement parce qu’un véritable tarif unique exclusif de toute remise (sauf aux membres de la profession) et réduction donnerait réellement au client (spécialement le plus « gros ») le libre choix de s’adresser au notaire qui leur convient…Une libéralisation du tarif sera un désastre pour ceux qui ne pourront se payer les services des « meilleurs » et devront se rabattre sur les « moins chers »…Ce qui est acceptable pour le commerce ne l’est pas quand il s’agit de contraintes dont l’origine et l’organisation relèvent de l’Etat, mais l’Etat lui-même englué dans la construction européenne sait-il encore ce qu’il est et ce que la Nation attend de lui ?