La lecture du Figaro n’a rien d’un exercice « hautement » intellectuel. Parfois, cependant, on y découvre des perles, une mine de renseignements, un documentaire percutant, un personnage hors du commun… comme le portrait de Philippe Bilger (1), avocat général près de la Cour d’appel de Paris, qui va rejoindre un cabinet d’avocats d’affaires réputé.
Que dit le journaliste Stéphane Durant-Souffland dans son article (2) ? Que Philippe Bilger est le magistrat de la libre parole. Il le qualifie d’anarchiste de droite car ce magistrat aime l’ordre en hermine, mais exige d’y exercer sa liberté de penser (et de parler). D’ailleurs, ajoute-t-il, il ne s’interdit rien, ou presque. Il lui arrive de critiquer l’attitude du garde des Sceaux en exercice ce qui, dans la corporation, relève de la faute de goût ou de la tentative de suicide professionnel. Un peu comme pour les notaires en somme, mais chez nous, personne ne s’y hasarde ! Philippe Bilger avoue éprouver « une certaine volupté » à se glisser dans les interstices de la presse officielle. « Il ne me déplaît ni d’étriller certains puissants ni de me faire traîner dans la boue en retour » dit-il. Un peu désabusé, voire crépusculaire, il confesse : « J’éprouve de plus en plus comme un malaise dans le judiciaire festif et collectif, comme si je n’étais capable que d’y aller du bout des lèvres, du bout de mon être. Ces grandes frénésies (décorations, manifestations et réunions) me troublent comme ma présence trouble ceux qui y participent. (…) Cela s’accentue comme une fracture. Comme si on percevait que j’étais totalement rétif au conventionnel, à l’hypocrisie judiciaire et sociale. L’ennui m’habite. Le judiciaire qui sort de ses expressions royales est définitivement grotesque pour moi. »
Liberté de penser et de parler
Quelle vérité ! Elle sort crûment et montre une puissance d’analyse intime qui personnellement m’a touché au cœur. La hiérarchie classe Bilger dans la catégorie « incontrôlable ». En lisant cet article, j’ai remplacé le mot « magistrat » par celui de « notaire »… et je me suis retrouvé quelques années en arrière. Nous subissons la même rigueur conventionnelle, la même pression hiérarchique, le même manque d’ouverture, la même absence de compréhension et d’entraide désintéressée. L’esprit servile et mesquin se fraye le chemin des honneurs sous l’habit de l’hypocrisie. Comme en politique, les places en vue appartiennent le plus souvent aux « fauves ». Tous les moyens sont bons pour y parvenir et surtout y demeurer. Alors on élimine les électrons libres, ceux que Philippe Bilder qualifie lui-même de « traîtres génétiques »…
Relever la tête et servir
Cet article m’a replongé, quelques minutes, dans l’immense bonheur de servir une profession, jour après jour, dans un office notarial. Et tout aussitôt dans les mauvais souvenirs, comme la difficulté de participer activement et positivement aux ordres hiérarchiques où grouillent quelques confrères (pas tous heureusement), plus préoccupés de leur ambition de représentation que de servir efficacement leur profession. Je le savais, évidemment. Philippe Bilder me l’a rappelé avec acuité. Je formule le vœu que d’autres en fassent leur profit et que les jeunes qui ont pu être écœurés par l’attitude de certains anciens, relèvent la tête au lieu de courber l’échine. Dans le monde du notariat, « tous pourris » ne veut rien dire, pas plus qu’ailleurs, du reste… En revanche, qu’il faille nettoyer les écuries d’Augias, cela se pourrait bien, et l’on attend en vain. En écrivant ces derniers mots, j’ai la pensée soudaine que je m’inscris, hélas, parmi les indignés. Ceux qui militent pour Stéphane Hessel, dont j’ai pourtant détesté le livre plein de poncifs.
1 – Philippe Bilger intervient notamment dans l’émission « C’dans l’air » et tient un blog : www.philippebilger.com/ 2 – Edition du 24 septembre.