
« Après les Etats généraux, tous les regards se portent vers l’extérieur afin d’anticiper le prochain assaut. Viendra-t-il du législateur ? D’une profession juridique concurrente ? De l’Europe ? Et si le combat à mener avait lieu dans notre propre camp ? Le notariat semble en effet s’étonner de l’importance du nombre d’avocats, jusque dans les parlementaires, mais qu’a-t-il fait pour consolider ses troupes ? Le constat est sans appel : une majorité des notaires « en devenir » est gagnée par un mal latent : la désillusion. Ainsi, dans votre dernier numéro (1), un notaire s’étonne d’entendre encore « qu’on n’a aucune chance d’embrasser la carrière notariale si l’on n’est pas du sérail ». Il s’agit évidemment d’une idée reçue puisqu’un étudiant motivé parviendra à embrasser cette voie, même s’il s’apercevra souvent qu’un lien de filiation au notariat est plus efficace… C’est notamment le cas pour obtenir un stage dans une étude.
Règle n°1, être motivé
L’étudiant motivé non issu du « sérail », a souvent beaucoup de mal à commencer son apprentissage professionnel. L’envoi d’une lettre de motivation à un notaire équivaut à envoyer une bouteille à la mer, si aucune connaissance commune ne permet d’appuyer ladite demande. Et lorsque cette bouteille arrive à bon port, l’étudiant s’aperçoit vite que franchir la porte d’entrée d’une étude ne suffit pas : il faut ensuite y trouver une occupation ! En effet, le notaire n’a pas toujours du temps à lui consacrer pour lui transmettre un peu de son savoir et de son expérience. Toutefois, l’étudiant motivé saura trouver un clerc disposé à lui montrer quelques aspects pratiques de la profession, voire à lui faire accomplir quelques petites tâches… Ainsi, malgré divers « stages de découverte » que le candidat aura pris soin d’enjoliver sur son C.V. en transformant la mise à jour du jurisclasseur en veille juridique et la photocopie de dossiers d’usage en constitution de dossiers, il est fréquent que l’apprentissage pratique du métier ne débute qu’avec le stage de 2 ans. Ce dernier se déroule alors cahin-caha, l’employeur attendant vite du notaire stagiaire qu’il soit autonome sans avoir à le former personnellement.
Le temps de la désillusion
Le bout du tunnel n’est pas encore perceptible lorsque le notaire stagiaire devient notaire assistant. S’il a la chance d’être maintenu dans l’étude où il a effectué son stage, il doit parfois se résoudre à ne pas voir son salaire augmenter (bien que la convention collective le prévoie). Après tout, le patron lui évite ainsi de se retrouver sur le marché du travail avec une expérience professionnelle somme toute assez courte et des prétentions salariales que certains jugeront démesurées. Un peu plus de 2 000 € net par mois, cela doit se mériter, même après 7 ans d’études ! Ainsi, après avoir obtenu le diplôme de notaire, achevé mon stage de deux ans et soutenu avec succès mon rapport de stage, ai-je réussi pour autant ? Mon titre de notaire assistant est purement théorique puisque mon patron me qualifie de clerc et me présente comme tel à ses clients ; mon diplôme ne m’a apporté aucune augmentation de salaire ; et mes amis qui ont besoin d’un notaire ne sont pas mes clients mais ceux de mon patron.
L’herbe plus verte ailleurs ?
Il m’arrive donc de regarder avec envie mon ami avocat, avec qui j’étais à la faculté jusqu’en maîtrise, fraîchement diplômé comme moi, et qui sans être associé avec ses employeurs a pourtant déjà le droit d’avoir son nom sur une plaque, ses propres clients, sa carte de visite. Détails futiles, mais qui permettent de se sentir intégré dans une profession et non au ban de celle-ci, même s’il ne faut pas confondre un avocat avec un officier ministériel. À ce rythme, pourrons-nous longtemps résister au chant des sirènes (banques, compagnies d’assurances, cabinets d’avocats) qui ont plus de considération pour notre diplôme que notre propre profession ? Si le notariat doit livrer bataille qu’adviendra-t-il le jour où ses troupes auront déserté faute de motivation ?
Les Etats généraux, en recueillant seulement l’avis des notaires installés, n’ont pas pris en compte les doléances et les aspirations des notaires en devenir. Sommes-nous pour autant illégitimes à réfléchir à l’avenir d’une profession que nous avons choisi d’exercer et pour laquelle nous avons été formés ? Dès lors, comment se sentir impliqués par un combat pour lequel nous sommes exclus à bien des égards ? Et si finalement la force vive du notariat était en train d’être tuée dans l’œuf ? »
1. Notariat 2000 n° 508 p 20.