Le vent des réformes souffle sur les professions juridiques. Faut-il s’en réjouir ? Petite réflexion sur les réformes en cours et leurs conséquences sur le notariat.

 

Moi : En repensant à nos derniers dialogues, je me disais que tu es sacrément critique.

MOI : C’est que je me suis mal exprimé. Je n’ai pas critiqué, j’ai exprimé des idées de réforme.

 

Moi : Certes, mais bouleverser notre organisation des Chambres, des Conseils régionaux et des inspections, abandonner nos activités commerciales, organiser des élections au suffrage universel, faire appel à la Cour des comptes… On pourrait penser que tu veux régler son compte au notariat…

MOI : La profession a pris du retard. Elle a volontairement refusé de s’ouvrir aux conseils juridiques, puis aux jeunes, par malthusianisme et corporatisme. Nous avons manqué de clairvoyance et de courage. Toutefois, je ne dénie pas au notariat ses qualités qui en font une exception.

 

Moi : Pourquoi ne le dis-tu pas plus souvent ?

MOI : Pour avancer… Le CSN claironne l’utilité du notariat. Dois-je m’en faire l’écho ? Le notariat est bien structuré, la plupart de nos Chambres et de nos Conseils régionaux sont efficaces, nos confrères et la plupart des salariés de nos structures sont dévoués. Je crois aux vertus du tarif, à l’authenticité. Et je suis sûr que ce serait une grave erreur de bouleverser l’exercice du notariat.

 

Moi : Alors, à quoi ne crois-tu pas ?

MOI : Pose la question autrement. Tout est-il parfait ? Non, car le monde bouge sans le notariat. En revanche, je continue à défendre le notariat dans son essence d’officier public délégataire du sceau de l’Etat, contrairement à certains confrères qui veulent ouvrir la profession sur les marchés, au risque de lui faire perdre son âme. Ne l’avons-nous pas déjà perdu pour certains journalistes qui dénoncent nos activités commerciales et notre manque de transparence ? Nous aurions pu agir plus vite pour éviter ces accusations publiques.

 

Moi : Tu en es sûr ?

MOI : Qui peut l’être ? Il fut un temps où j’ai eu la tentation de la négociation, de l’expertise, de la GP… À présent, je pense qu’il faut revenir au métier, à la rédaction dans le respect du droit, basé sur une éthique de cristal et d’airain, ce que prône d’ailleurs notre Président.

 

Moi : D’où te viennent ces certitudes ?

MOI : De mon expérience de Président… Et du fait que je suis fils d’avoué. Comme tu le sais, cette profession a été supprimée. Mon père est donc devenu avocat, mais il n’était pas au bout de ses peines. Le TGI d’Orange où nous résidions est passé à Carpentras et nous avons dû déménager. Mon frère qui a repris le cabinet, prend actuellement de plein fouet la réforme, car le tribunal de commerce est muté à Avignon. Les réformes judiciaires m’ont touché dans la chair, c’est probablement la raison pour laquelle j’ai ressenti plus tôt que d’autres la nécessité d’avancer…

 

Moi : Et que penses-tu des réformes en cours ?

MOI : De la poudre aux yeux. Sans moyen, que faire ? Au départ, il était question d’installer une Cour d’appel par région, de réduire le nombre de TGI et de favoriser la justice de proximité avec les Tribunaux d’instance. À l’arrivée, peu de suppression de Cour d’appel ou de TGI, mais suppression de nombreux Tribunaux d’instance. Et puisque la réforme n’a pas été possible, la Chancellerie a décidé de confier au notariat des secteurs de la famille comme le divorce ou la tutelle.

 

Moi : Mais c’est bien pour le notariat !

MOI : N’est-ce pas plutôt un cadeau empoisonné ? Pour réduire ses charges, l’Etat confie au notariat un secteur non rentable, concerné essentiellement par l’assistance judiciaire. En outre, cela induit un réel changement de société. Y a-t-on bien réfléchi ?

 

Moi : Il s’agit d’un parcours simplifié : le notaire reçoit le contrat de mariage et renvoie ses clients se marier devant le maire. Plus tard, il reçoit le couple pour un divorce. Il dresse alors le partage amiable puis renvoie les parties devant le juge qui prononce le divorce.

MOI : Ce n’est pas le projet de la Chancellerie. Afin de décongestionner les tribunaux, le notaire dressera un acte qui vaudra divorce. Si le mariage demeure une institution, peut-elle être défaite par un contrat notarié ? Un contrat peut être annulé par un autre contrat, mais une institution ? Il faudrait aller plus loin et donner au notariat la réception des Pacs et des mariages. Les municipalités, les greffes, la justice auraient une énorme charge en moins, mais le notariat ne deviendrait-il pas, du même coup, fonctionnaire de l’Etat ? Et quelles seraient les conditions financières ? N’oublions pas qu’il est aussi question de nous faire gérer le fichier immobilier. Il y a là un réel danger, car si je prône une extension de notre domaine d’activité et une meilleure utilisation par l’Etat de son notariat (avec la suppression de l’acte administratif), je reste attaché à un exercice libéral efficace. Le notariat ne peut pas porter toute la misère de l’administration…