Dans le louangeux concert qui a trouvé son point d’orgue tout au long du dernier congrès national, un bémol, certes politiquement incorrect, est demeuré silencieux. L’authenticité, notre raison d’exister, portée au pinacle en parole et par quelques miettes accordées, persiste à être bafouée dans son principe le plus fondamental.

Depuis de trop nombreuses années déjà, hélas, qui s’émeut encore et s’élève contre le plus grave déni d’authenticité : « Scrivener » ? Pourtant, jour après jour, son application continue à en saper les fondements. Insinuer que le notaire, officier public garant de l’authenticité, constate les accords sans s’assurer de la liberté des consentements, ce qui présuppose la connaissance et l’exacte appréciation de toute l’étendue et les conséquences de ses engagements, voilà ce que Scrivener entend en obligeant à écrire une mention dans un acte public dont l’officier devient alors évincé de son rôle essentiel. La répétition, fut-elle longue, ne saurait légitimer l’inacceptable. Pourtant tout se passe comme si, passés les émois spontanés, la mesure était admise dans le paysage notarial ! Bon nombre de notaires n’ont d’ailleurs pas connu autre chose, et nous vivons avec cette écharde que nous entretenons sans émotion. N’aurait-il pas fallu continuer, sans relâche, dénoncer haut et fort l’imposture et profiter de l’embellie de nos relations avec l’actuelle Chancellerie et son Garde pour remettre, sur le tapis, cette monstruosité juridique, dont plus personne ne semble, aujourd’hui, s’inquiéter ? Socle des relations privées pacifiées, l’authenticité n’a pas été confiée aux notaires pour leur confort, mais au bénéfice de nos concitoyens. Nous en sommes donc comptables et responsables tant à leur égard qu’à celui de l’Etat qui nous l’a conférée. C’est se satisfaire de l’inacceptable que de fermer les yeux sur ce facteur de sape qui s’insinue dans notre indifférence, et induit une défiance à l’égard de notre fonction. Seuls en Europe à supporter ce camouflet permanent, n’oublions pas que les yeux et oreilles du notariat mondial sont fixés sur les modalités d’exercice françaises. Elles servent de référence et d’exemple ! La perplexité de nos confrères étrangers serait grande comme leurs déconvenues si on apprenait l’inimaginable ! Il n’est jamais trop tard, bien que le temps travaille contre nous et ancre un peu plus chaque jour cette pratique inadmissible. Sans doute nos chefs en restent-ils bien conscients et oeuvrent-ils dans ce sens ? Le contraire serait incompréhensible et incompris.

 

Parapluie

Autre bémol dans le concert euphorique, nos actes, déjà atteints d’obésité par des automatismes qui, privilégiant la facilité, les rongent de l’intérieur et les dévorent ! Pire encore, la tendance à les obliger à accueillir un « catalogue parapluie » de mentions et d’annexes, fragilise l’authenticité. Incontournable, le fameux « principe de précaution » prétend garantir l’individu de tous maux et de tous risques ! Ce faisant, il déresponsabilise par une fausse sécurité. Celle-ci n’est plus conférée par l’authenticité vidée de son essence, mais par un galimatias abscons de risques présupposés dont nos actes « parapluie » devraient se prémunir à la manière d’un talisman. Au lieu de sortir de nos bureaux assurés, voire rassurés, nos clients restent dubitatifs et déstabilisés par cet assaut de cataplasmes, dont l’accumulation anesthésie sans convaincre et prépare les contestations et procédures que nous subissons de plus en plus ! Sans doute ne nous appartient-il pas de refuser d’appliquer la loi puisque nous sommes là pour l’expliquer et la faire respecter. Mais comment expliquer l’inexplicable ? N’est-il pas de notre rôle, voire de notre devoir, d’imaginer, rechercher, mettre au point et en place les modalités permettant de différencier l’essentiel (accord des parties, libres) de l’accessoire (risques présupposés) ? En nous obligeant à scinder nos ventes en deux parties pour le confort hypothécaire, la bonne direction est en place. Sans doute, devient-il maintenant urgent et important pour notre crédibilité et la compréhension de nos clients, de passer à la vitesse supérieure, en y travaillant d’arrache pieds. Nous ne manquons pas de Commissions, ni de compétences brillantes et individuelles pour mettre au point une simplification clarifiante. Ce qui ne devrait pas empêcher de rappeler en très haut lieu que le mieux reste l’ennemi du bien, qu’il entretient la confusion, la contestation et l’inquiétude. Trop charger la barque la fragilise sous l’orage ! (1)

 

L’arbre authentique ne saurait cacher plus longtemps la forêt de nos renoncements complices, ni de nos accueils iconoclastes dans nos actes. Il nous revient d’assurer, en dépit de toutes les vicissitudes, leur lisibilité, clarté et efficacité. Laisser s’enfoncer l’authenticité dans l’obscurité des parapluies et autres mentions, fussent-elles manuscrites, interpelle notre responsabilité, en fragilisant les relations que notre statut oblige à sécuriser. Cette gageure vaut bien une réaction, celle d’un corps sain à l’égard des implications parasites, à éliminer ! Nul doute que nous saurons, après bien d’autres, conjurer ce péril, celui de l’indifférence, pour peu que nous soyons soutenus et encouragés par nos responsables. L’exemple vient toujours d’en haut.

 

1. Relire sur ce point l’excellent coup de gueule de J-M.Moreau paru dans le N°477 de N2000, page 18 « Tous fous ».