Le notariat apprécie toujours les corvées qui lui sont confiées par l’État, les considérant comme des marques de confiance, et espérant secrètement que leur scrupuleuse exécution conforterait la situation enviée des notaires malgré les critiques de plus en plus insistantes à l’égard de la profession.
Ce fut par exemple le cas, il y a quelques années seulement, pour la constitution d’une base statistique exhaustive des valeurs immobilières.
Rétrospectivement, on peut du reste se demander si cette tâche chronophage nous a réellement été demandée par l’État, ou si, finalement, la démarche n’a pas été inverse, pour tenter de réaliser enfin ce qui ne fonctionnait pas depuis des décennies…
L’alimentation des bases du MIN était bien loin, en effet, d’être complète et spontanée, et rien ne semblait devoir changer la donne…Certains notaires estimaient du reste qu’il n’était pas admissible de facturer à leurs clients le coût de l’inscription des données les concernant, ou, tout simplement, ne voulaient pas imposer une charge de travail supplémentaire à du personnel déjà fort sollicité… Et puis, pour certains, les méthodes employées (envoi de copies et de post-it complémentaires) semblaient déjà bien peu modernes et en tout cas fort malpratiques.
De là à dire que la société PERVAL souhaitait plus que le gouvernement voir cette base reconnue et imposée à tous, il n’y a qu’un pas, que je franchirai bien entendu, selon mon habitude, avec la délicatesse d’un troupeau d’éléphants dans un magasin de porcelaine…
Quoi qu’il en soit, l’obligation vint, et on ajouta même, pour faire bon poids, celle de saisir les informations relatives aux avant-contrats de vente ; le notariat, «légion» disciplinée obéit naturellement à cette décision (je ne voudrais pas ôter ici leurs dernières illusions à ceux qui voient le notariat comme une légion romaine alors qu’il s’agirait plutôt d’une armée de généraux mexicains). Le MIN devenait «la» référence, il y avait de quoi «être fier», et on le clamait haut et fort, pour mieux être apprécié de nos ministères de tutelle…
Oh bien sûr, à peine avions nous été chargés impérativement d’alimenter une base «que tous nous envient» (sur une échelle de propagande notariale on se situe juste au-dessus de «qui a le mérite d’exister» et en dessous de «qui démontre l’unité et la puissance de notre profession», ce n’est pas si mal !) que Bercy «ouvrait» au grand public ses propres statistiques dénommées «Patrim», et invitait les contribuables (contre saisie de leur numéro d’identification) à vérifier sur cette base les valeurs de leurs biens… Certains esprits chagrins avaient alors relevé l’inutilité d’une base «notariale» si le Trésor constituait une base «nationale» des valeurs immobilières, mais on n’écoute pas les esprits chagrins, car ce sont des «extrémistes» (l’équivalent notarial de «populistes», vous voulez dénigrer un Confrère encombrant, traitez-le, au choix, de communiste ou d’extrémiste, ça marche à tous les coups !), qui mettent en danger l’unité de la profession.
Les clients des notaires payaient (ou plutôt, payent, car la farce continue !) l’alimentation des bases statistiques notariales selon un tarif fixé par le ministère des Finances et en même temps (eh oui déjà !) en tant que contribuables, la constitution d’une base nationale… Saine gestion, prise en compte objective des intérêts des citoyens, une démarche parfaitement exemplaire !
Certes, les contribuables rechignaient à se rendre sur Patrim pour évaluer leurs biens immobiliers, car ils ressentaient sans doute confusément qu’en saisissant leur numéro de contribuable, ils s’interdisaient toute interprétation «favorable» de la valeur de leur patrimoine…
Certes les données amassées par le notariat permettaient l’évaluation précise des biens, et seule une partie était mise à disposition du grand public…
On voyait cependant fleurir les outils d’estimation rapide en ligne basés sur les valeurs immobilières des notaires, utilisés de plus en plus fréquemment par les clients pour contester l’évaluation effectuée selon des méthodes éprouvées, et même standardisées… Par les notaires.
L’open data vient de parachever le processus.
Les données des valeurs foncières sont maintenant publiques, leur utilisation libre permet de réaliser des outils d’évaluation, dont on peut espérer aisément qu’ils seront nettement plus ergonomiques, complets et efficaces que ceux que la profession a produits et même que ceux qui lui ont été proposés par des professionnels indépendants…
Ne nous serions-nous pas fait abuser ?
Nos concitoyens ne se feraient-ils pas abuser ?
«MIN» de rien, on vient de priver la base notariale de toute crédibilité, sans lever l’obligation qui nous a été faite de l’alimenter….
Une fois encore, nous avons travaillé, et contribué financièrement, à la mise en place d’un outil, et nos propres autorités de tutelle n’ont rien trouvé de plus utile, de plus intelligent, de plus opportun que de faire de même…
Gaspillage de deniers publics et privés en stéréo pour inventer l’eau tiède, on imagine aisément ce qu’aurait pu être un travail en commun !
Et le «contribuable» dans tout ça ? Vérifiez dans votre commune, et peut-être ferez-vous le même constat que moi : sur les 5 ans référencés dans la base, il manque, très curieusement, les transactions les moins «valorisées». De là à supposer, ce que je ne ferai pas , devoir de réserve et tout et tout, que l’administration fiscale a jugé utile pour l’établissement de l’assiette de l’IFI de majorer en toute discrétion les résultats, en supprimant (mais non, voyons, c’est l’export des données qui a dû connaître un léger bug !) les valeurs les plus basses qui auraient fait baisser la moyenne locale…
Bref, c’est public, c’est forcément vrai !
Et maintenant, on fait quoi ?
Un jeune client me disait récemment «les notaires ne servent plus à rien», il a été très surpris de m’entendre répondre à sa provocation par «Vous avez raison ! Le chien de berger ne sert à rien ; tous les moutons vous le diront ! On pourrait économiser sa gamelle sans aucun souci, c’est juste un parasite inutile… Ils en sont tous sûrs, car ils l’ont entendu dire, très souvent, sur Radio-Loup !»
D. Mathy
Sublime b