Il est le « pape » de la GP et le créateur du célèbre DES de Gestion de Patrimoine. Jean Aulagnier a bien voulu répondre à nos questions et nous invite à sortir des sentiers battus. Arrêt sur image.

 

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Notariat 2000 : Où en est la GP aujourd’hui ?

Jean Aulagnier : Elle est un peu à la croisée des chemins. Pendant longtemps, l’activité de conseil s’est portée principalement sur l’allocation d’actifs, c’est-à-dire sur la prescription de produits de placements mobiliers et immobiliers. Le chiffre d’affaires des conseillers en GP était fait de commissions, versées par les fabricants de produits, principalement les compagnies d’assurance, mais aussi les promoteurs immobiliers. L’offre des assureurs était, en général, plutôt bien adaptée aux besoins des épargnants. Les contrats en unités de compte sont entrés en force dans le patrimoine des épargnants, augmentant la part relative des actifs financiers. L’offre de produits immobiliers a su aussi séduire l’investisseur en lui ouvrant la voie des avantages fiscaux. Pour autant, tant que la crise n’aura pas trouvé ses solutions, la demande d’actifs formulée par les épargnants sera moins favorable aux conseillers patrimoniaux, car portant sur des produits moins commissionnés. En effet, la demande se concentre sur les actifs monétaires, moins risqués et surtout moins rémunérateurs pour les prescripteurs. Il va falloir compenser cette perte de recettes en se tournant vers le conseil patrimonial. Le conseil en investissements financier et immobilier doit être, plus qu’hier, complété par le conseil patrimonial relatif au contenant du patrimoine. D’une approche principalement économique, il faut aller vers une approche plus juridique (avec qui et comment est détenu le patrimoine des épargnants). Cette partie du conseil patrimonial ne peut être rémunérée que par des honoraires et doit être exercée essentiellement par les notaires. Les efforts que nous avons faits pour former les conseillers patrimoniaux, qu’ils soient notaires, experts comptables, CGPI devraient être « enfin » récompensés et valorisés.

 

Notariat 2000 : On a le sentiment que le notariat a délaissé la GP au profit d’autres activités, laissant ainsi la part belle à d’autres professionnels. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Jean Aulagnier : Le notariat a fait, depuis des années, de grands efforts pour aider à la formation au conseil patrimonial. De nombreux notaires ont suivi cours et séminaires, préparant des diplômes en gestion de patrimoine (particulièrement ceux de l’Université d’Auvergne). Les publications notariales centrées sur le conseil patrimonial sont riches de propositions et de suggestions. Congrès et colloques abordent très souvent cette activité. Et pourtant, les formations suivies, les connaissances acquises, les diplômes obtenus, leur application n’est pas toujours à la hauteur des efforts engagés. Le notaire est trop vite repris par les exigences du quotidien, notamment par l’exploitation d’un marché immobilier particulièrement riche ces dernières années. Soyons objectifs : nous devons convenir que la rédaction des actes immobiliers est plus rémunératrice que la rédaction d’un rapport patrimonial que le notaire a d’ailleurs du mal à se faire rémunérer (la pratique des honoraires de conseil est encore loin de s’être généralisée). Il est sûr que si les réflexions patrimoniales émanant du monde notarial ne profitent pas assez aux notaires, elles profitent au moins à certains de leurs concurrents qui améliorent ainsi leur niveau de compétence dans l’intérêt bien compris de leurs clients. Ils (les concurrents) s’approprient ces connaissances qu’ils s’efforcent de vendre, plus ou moins bien, aux épargnants et ce d’autant plus nécessairement qu’il faut « compenser » la diminution des rétrocessions de commissions.

 

Notariat 2000 : 2012 s’annonçant difficile sur le plan de l’immobilier, la GP est-elle une activité d’avenir pour les notaires ?

Jean Aulagnier : Il ne fait aucun doute que le conseil patrimonial est une activité d’avenir parce que naturelle à tout notaire. La culture notariale est « patrimoniale ». Partenaire des familles, le notaire dispose des connaissances et des instruments nécessaires à un conseil pertinent. Il lui faut simplement trouver le temps de rendre et formaliser le conseil. Une baisse de l’activité immobilière pourrait être de nature à favoriser cette évolution. Il est quand même dommage de devoir « espérer » une baisse de l’immobilier pour voir se développer une activité qui est à la base même du conseil notarial ! Le notariat peut trouver dans cette activité une source de profit, probablement moins forte que dans l’immobilier, mais souvent plus satisfaisante intellectuellement. Cette activité de conseil existe déjà dans de nombreuses études. Il faut la renforcer en y consacrant les moyens humains nécessaires.

 

Notariat 2000 : Quel message aimeriez-vous faire passer à nos lecteurs ?

Jean Aulagnier : Ces dernières années, le législateur a fait évoluer le droit patrimonial en le modernisant et en l’adaptant aux contraintes économiques et sociales contemporaines. Il a innové, suggéré, proposé de nombreuses solutions destinées à répondre à la diversité des situations patrimoniales rencontrées. La doctrine patrimoniale s’est, de son côté, « affirmée », participant à la sécurisation des solutions. Ces solutions sont le plus souvent connues des notaires, mais pas suffisamment de leurs clients. On ne peut pas reprocher au client de ne pas savoir, mais on peut reprocher au notaire de ne pas avoir su prendre le temps de faire savoir. N’est-ce pas le premier devoir du notaire, instituteur du droit, que de diffuser son savoir ? Pour y parvenir, il faut être convaincu de son utilité et de la pertinence de son utilisation. Ce n’est pas toujours le cas. Il faut sortir des sentiers battus, proposer des cheminements nouveaux, être innovant sur le chemin du conseil, comme l’a proposé le Mouvement Jeune Notariat lors de son dernier Congrès à Istanbul.