Lundi, seize heures, je fume un cigare tout en m’interrogeant sur notre devenir. Jadis, quand j’étais notaire, je n’en avais pas le temps car je recevais les clients. Je me demande si le bonheur n’est pas finalement l’absence de choix, l’obligation d’avancer, la satisfaction immédiate de se consacrer à son devoir, sans inutile questionnement…
Je pense à mes confrères en train de se démener : les uns accomplissent leur art dans ce que l’authenticité a de plus classique, bien à l’abri de leur monopole d’officier public. Les autres, plus aventureux, estiment, négocient, font de la gestion de patrimoine ou se coltinent avec les avocats dans l’exercice du droit des affaires. Les premiers craignent pour leur avenir, mais se réconfortent à l’idée que leur statut a été tant de fois décrié et menacé de remise en cause, que ce n’est peut-être qu’une fois de plus. Les autres s’illusionnent à la pensée qu’ils sont le fer de lance d’une profession moderne qui saura, le moment venu, tirer les marrons du feu. Et je m’interroge sur leur sort…
La boussole du conseiller Real
Les premiers seront-ils récompensés de leur acharnement à accomplir le mieux possible la mission d’intérêt général pour laquelle ils ont été formés, alors qu’ils auront passivement respecté les règles de leur statut, défini par les plus hautes instances notariales ? Les seconds verront-ils prospérer leurs efforts pour s’adapter au nouvel ordre économique, sans rechercher s’ils répondaient bien à la mission d’authentificateurs qui leur avait été confiée ? Les uns et les autres n’ont-ils pas perdu la boussole de feu le Conseiller Réal ? Il avait défini des règles simples, frappées au coin du bon sens, pour assurer, en toute indépendance et en toute équité, un certain nombre de missions destinées essentiellement à protéger le citoyen. Si les premiers respectent à la lettre ce cadre juridique, ils oublient de manifester clairement et bruyamment leur soutien à une cause de salut public. Quant aux seconds, trop attachés à leur sort, ils parient d’ores et déjà sur la remise en cause de la fonction notariale par sa transformation en une activité libérale ordinaire, à l’image de celle exercée par les Anglo-saxons.
La troisième voie
Ce serait pourtant si simple de rappeler à nos gouvernants quelques évidences dont la principale est d’ordre purement économique. Cela devrait recevoir un écho, vu l’état du poids des déficits dans les pays de la zone euro. En effet, comment maintenir le service public du Droit auquel sont attachés les Français ? Le confier, comme cela se fait, pour partie à la Justice ou à certains services de l’Etat, c’est utiliser des fonctionnaires qu’il faut payer. Or les économistes disent tous qu’il faut réduire les charges du pays. La deuxième solution qui semble avoir la préférence de ceux qui prônent la libéralisation tous azimuts, c’est l’ouverture de l’activité notariale aux avocats. On en connaît les inconvénients, le plus certain étant l’augmentation du coût pour les utilisateurs et l’avantage qui en résulte pour les plus fortunés. La troisième voie, celle de Réal, est de confier une délégation à la profession notariale pour un exercice du droit bien circonscrit, appuyé sur un tarif et sous l’autorité du ministère de la Justice. Cette délégation ne coûte rien à l’Etat, lequel, en outre, maîtrise parfaitement l’activité de ses délégataires.
Hors monopole : comme à l’hôpital…
En contre échange de ce monopole de fait, il va de soi que les notaires ne doivent pas exiger plus d’activités que celles pour lesquelles ils sont nommés. A défaut, comme à l’hôpital, il faudrait consentir la possibilité d’exercer une activité hors monopole, rémunérée différemment. C’est possible, mais on connaît les dérives du secteur hospitalier, et l’on mesure les risques résultant d’une telle option. On pourrait cependant imaginer des notaires, voire des offices, qui n’exerceraient, pour tout ou partie, que hors monopole. Seule condition : que le client, averti dès son premier rendez-vous, soit amené à faire le choix d’un conseil ou d’un service, dans ou hors du monopole, comme c’est le cas d’un patient qui choisit la consultation à l’hôpital ou au sein du cabinet du médecin consulté. Pour éviter un service du Droit à deux vitesses, il faudrait évidemment que certaines activités soient définitivement du monopole (par exemple, la rédaction d’un prêt, d’une vente, d’une donation, le règlement d’une succession, la réception d’un testament…). A contrario, le hors monopole ne pourrait concerner que la négociation, la régie, la gestion de patrimoine, certains montages juridiques complexes, le droit des affaires, les consultations écrites et les concours rémunérés. Il va de soi que le monopole exclut le concours et donc la répartition des émoluments entre deux notaires…