Dans notre dernier numéro (N2000 n°464 page 22), un de nos lecteurs revenait sur le procès d’intention fait à la profession au sujet de la querelle autour de l’Assurance-Vie (Intérêts Privés n°616). Dans une note de la rédaction, nous faisions nôtres les propos tenus par ce lecteur qui avait voulu conserver l’anonymat et avions conclu que cela « disqualifiait un peu plus la profession sur le champ patrimonial ». Me ROSSEL, notaire à Montbéliard, réagit à son tour…
« Le courrier du lecteur anonyme du numéro de mars 2005 mérite une autre réponse que votre NDLR (1). En effet, les contrats d’assurance-vie sous forme de capitalisation (parfois une unique prime) peuvent être, le cas échéant, un placement judicieux et approprié à certaines situations afin de favoriser la transmission d’un patrimoine à titre gratuit. Je ne pense pas que ni le CSN, ni les notaires dans leur ensemble contestent ce fait et renient le côté positif de ces placements, dans la mesure, naturellement, où ils ne participent pas à la spoliation d’intérêts légitimes. Je présume que ce lecteur serait choqué que M. PIERRE laisse à son décès, son épouse commune en biens, démunie, alors qu’il aurait laissé le bénéfice de la quasi-totalité de son patrimoine commun au profit de sa jeune maîtresse, ou que Monsieur JEAN déshérite de tout ou partie ses enfants au profit de leur marâtre. Et pourtant, si notaires et juges suivaient la position des assureurs, c’est ce que permettraient les contrats d’assurance-vie de capitalisation. Ces deux exemples parmi d’autres ne sont pas des cas d’école et les notaires sont trop souvent confrontés à de telles situations dans l’exercice de leur profession. Vous comprendrez qu’il est donc de notre devoir d’examiner avec vigilance les contrats d’assurance-vie souscrits par le défunt dans le cadre du règlement de sa succession afin d’empêcher de tels détournements de fonds. Ce n’est pas le statut fiscal de ces contrats que le notaire est amené à contester, mais leur qualification juridique. Sont-il sujets ou non à récompense ou à une action en réduction ? La réponse, bien que non évidente, nous est donnée par l’exagération manifeste des primes souscrites au regard du patrimoine du défunt. La Cour Suprême, dans ses dernières décisions du 23-11-2004, rappelle ce « vieux principe » que l’aléa des contrats d’assurance au regard des successions et des régimes matrimoniaux s’apprécie au montant des primes manifestement exagérées ou non. Ce principe que j’ai qualifié de « vieux », -le Professeur FLOUR nous l’enseignait déjà au milieu des années 60-, est donc toujours d’actualité à condition de faire une lecture exacte et non dévoyée de ces dernières décisions de la Cour Suprême. Cependant, la nouveauté non négligeable apportée par ces décisions se trouve dans l’appréciation de l’exagération des primes qui, curieusement, semble exiger un appauvrissement beaucoup plus important que ce qui était généralement admis par la jurisprudence. Il semble que les intérêts économiques priment sur la protection des conjoints et des héritiers réservataires. La veuve et les enfants spoliés apprécieront. Je convie votre lecteur anonyme qui semble sensible aux arguments des assureurs de se poser la question suivante : qui des assureurs ou des notaires ont le plus à gagner dans ce conflit juridique ? La réponse est évidente. Je précise et rassure vos lecteurs, le notaire continuera d’exercer avec vigilance le contrôle des assurances-vie dans le règlement des successions au seul bénéfice des intérêts légitimes des conjoints et des enfants, et non pour défendre quelque pré carré que ce soit. »