Encre et sueur froide transpirent depuis les indiscrétions « orientées » de ce mercredi noir du 23 janvier où, parmi les 314 propositions rassemblées en 20 mesures choc, figure en bonne place et fort explicitée « l’ouverture très large des professions réglementées à la concurrence ».
Pour les taxis, vétérinaires et autres pharmaciens, nous occupons bon rang dans ce visa. Paradoxalement, aucune stupeur n’émane du panonceau. Sans doute, les nombreux signes avant-coureurs depuis longtemps, ont préparé l’opinion notariale. Ne s’agirait-il pas de savoir si la capacité actuelle du notariat est apte à gérer et absorber ce choc ? Notre confortable numerus clausus est consubstantiel au panonceau, hormis quelques brèves périodes d’ouverture. Vivre au grand air d’une concurrence ouverte et dynamique ne s’improvise pas. Certes, si le mot était plus ou moins banni, nous vivions déjà une « petite » concurrence entre nous, mais à minima et négative. Elle était faite de petits ou gros « coups » en douce, sans gloire ni éclat, chacun se protégeant au mieux et y répondant plus ou moins mal. Mais si, chaque année, nous avons une entrée suivie et nombreuse de diplômés affamés, il faudra changer de braquet ! Voyons ce qui se passe chez nos plus proches voisins et néanmoins amis du barreau. Sans tambour ni trompette, mais avec une grande efficacité, ils sont carrément sortis du judiciaire qui leur était primitivement imparti, pour investir les domaines sans frontières du droit en général et de ses différents aspects particuliers, allant même jusqu’à lorgner fort sur nos spécialités, protégées d’un frêle décret cinquantenaire.
Solidarité et action
Cette démarche de survie passant par l’ouverture sur le développement de nos activités juridico-économiques, ne devrait pas poser de difficultés insurmontables. Si les avocats, qui n’étaient nullement préparés à investir le contractuel, ont su facilement s’y tailler une large place, nous devrions pouvoir y progresser aussi, car nous en avons depuis toujours les réflexes et les compétences. À une condition, essentielle : que chaque notaire ait la volonté personnelle et réelle de diversifier ses activités. C’est évidemment possible. De nombreuses exceptions, brillantes ou obscures, nous donnent des exemples hier décriés, aujourd’hui éclairants, que chacun peut et doit tenter pour y réussir. Ce faisant, nous éviterons des tensions fratricides, car nous entrerons de plein fouet en concurrence avec les professions voisines. Lentement, mais sûrement, elles ont investi, jusqu’à l’étouffement, nos activités légitimes périphériques du monopole. Ainsi, nous les protégerons, de facto, en même temps. Ne comptons pas sur l’habituel paratonnerre de nos chefs qui ne peuvent que donner l’exemple de la parole et de l’acte, mais pour ce dernier dans leur seule étude. L’action ne se décrète pas, elle ne peut se décider et se mettre en place qu’au seul niveau de l’individu, même si rien n’empêche plusieurs de se réunir par affinité. Attendre que tout le monde s’avance sur ordre est une gageure, essayée, mais vouée à un échec éprouvé. La solidarité, comme l’action, ne peuvent venir, ni être attendues que de soi. Alors seulement peut-on espérer un petit retour.
Défense claire et charpentée
Notre Président Reynis, en acceptant un débat avec son homologue avocat Paul Albert Iweins, Président du Conseil national des barreaux, dans le Figaro magazine du 5 janvier, nous donne un exemple de ce qu’on peut attendre du CSN : une défense publique, claire et charpentée, présentant même quelques avancées intéressantes. Avec un petit bémol lorsque l’avocat s’octroie royalement le monopole de l’équilibre contractuel, alors que c’est l’une des clés de voûte de notre existence même, fondement de notre utilité sociale. Face à cette attaque grave, sans réponse immédiate directe, la tentation déjà ancrée de faire croire que l’authenticité notariale penche du côté du porte-monnaie, devient palpable. La critique est ici bien trop facile car tout notaire sait, pour le vivre chaque jour, que l’indépendance essentielle, bien que difficile, est pour nos concitoyens si importante que la mettre en doute est une offense. Dès lors, comment se préparer à répondre à un tel propos, si contraire à l’un de nos premiers devoirs ? C’est bien, pourtant, à cette préparation qu’il faudra s’astreindre, surtout à répondre aux évidences, car c’est de l’inattendu que vient le péril. Affronter une difficulté grave, actuelle et avérée est finalement plus facile que si elle est larvée, souterraine, précédemment subie.
Les chevaliers de l’immobilisme
Dans ce registre du « non dit », ne devrait-on pas penser à une attaque immobilière de notre monopole si convoité ? À bien y regarder, il peut constituer un complément économiquement indispensable pour nos concurrents avides. Ce qui justifie, de plus fort, nos efforts de diversification à titre préparatoire. Endormir notre vigilance en flattant le repli sur le « tout juridique » prôné par les chevaliers de l’immobilisme, voilà un péril qui ne s’affiche pas, mais n’en demeure pas moins dangereux. Les miettes données ou proposées pour compenser le gâteau ! Et d’une pierre deux coups. N’oublions pas que notre super chef, comme tous les grands stratèges, débarque toujours là où on ne l’attend pas. Alors vigilance ! Nous allons vivre des difficultés que notre volonté sans faille et notre enthousiasme peuvent affronter. En tout cas, il est clair que si les problèmes sont posés par d’autres, les solutions ne dépendent que de chacun de nous.