C’était il y a quelques mois, à l’issue d’un congrès. En quittant la salle de conférence, j’ai remarqué un bloc-notes, semblable à ceux distribués par un partenaire du notariat. Quelqu’un l’avait oublié sur un siège de la travée. Après avoir interpellé (en vain) son éventuel propriétaire, parmi les quelques congressistes qui se hâtaient vers la sortie, j’ai entrepris de jeter un coup d’œil sur son contenu. Une surprise de taille m’attendait…

Le mystérieux auteur du carnet avait sans nul doute profité des débats pour laisser courir son imagination. Tout tenait en deux pages manuscrites. A défaut de pouvoir dresser un portrait-robot de ce confrère, je reproduis, ci-dessous, fidèlement un extrait de son carnet. Nul doute qu’il se reconnaîtra ?

« 1. Etat des lieux.
Après avoir cru que la dématérialisation était une fuite en avant, je suis convaincu, désormais, que je n’ai plus le choix. Je suis entré dans l’ère de l’immédiateté et de l’irréversibilité. Et, si je veux traverser, sans trop de dégât, le nouveau cycle dépressionnaire qui s’installe, il faut que j’adapte mon étude. Comment ? Sur le fond, je ne crois plus au conseil. Pas le conseil qui entre, nécessairement, dans notre devoir de conseil, mais je ne crois plus en celui dispensé, à longueur de temps (50 %  au moins, de mes journées) et qui débouche, rarement, sur un acte. C’est une perte d’énergie à la fois conséquente et généreuse. Notre confrère, Michel Bignon avait, naguère, remarquablement plaidé l’intérêt du conseil rémunéré (1). Mais, aujourd’hui, le client ne veut plus payer. Je l’ai bien vu avec le compromis de vente : c’est le fruit d’un travail, souvent important, interdit de facturation ! ».

2. Plan d’attaque.
A la réflexion, le futur de mon étude passe, paradoxalement, par un retour aux fondamentaux. A vrai dire, je ne vends que des actes, l’aboutissement de pourparlers, consultations, réflexions, voire gesticulations. C’est la production d’actes que j’ai en ligne de mire. Le reste, c’est du pipeau. Je dois rationaliser au mieux la chaîne, en amont, à la signature et en aval. La technique va m’y aider. Demain, je passe à l’acte authentique électronique, désormais au point. Je gagne un temps fou sur la durée de la signature. Après-demain, avec la dématérialisation, je récupérerai l’état-civil, l’urbanisme… je purgerai, par télé-procédures, les droits de préemption des Safer et Collectivités. Avec la visioconférence, je ne perdrai plus mon temps de VRP stressé, jonglant avec les horaires, les aléas climatiques et les mouvements sociaux.

3. Stratégie
Rien ne se fera sans l’adhésion de mon équipe. En rentrant, demain, je vais frapper un grand coup, en leur disant : « soit nous continuons à ronronner et nous serons en dehors des clous dans 5/7 ans ; soit nous faisons le grand saut et nous gardons l’espoir de nous en sortir ! ». Je leur dois toute la vérité. Il faudra bien arriver, aussi, à ce que le client puisse accéder à son propre dossier, en ligne, au moyen d’un code, pour garantir la traçabilité totale des actes. Il consulte déjà son compte bancaire, son portefeuille de bourse et ses autres placements en ligne ! A terme, nous devrons mettre en place une veille juridique « personnalisée » qui sera envoyée à chaque client, en fonction de son profil déterminé grâce à son dossier. N’est-ce pas un bon moyen pour informer et susciter des besoins ? Quant aux « nouveaux créneaux », ils sont régulièrement sortis de la « boîte à idées » du notariat, dans les moments difficiles… Bien sûr, je vais continuer, plus que jamais, la négo qui reste une part essentielle de mon chiffre d’affaires. Mais, le plus important pour maîtriser l’avenir consiste, me semble-t-il, à mettre en œuvre toutes les applications possibles de la révolution numérique pour être plus efficace et libérer du temps… « .

C’est ainsi que se termine cette… profession de foi ! Qui en est l’auteur ? Qui es-tu confrère ? Ta détermination semblait sans faille lorsque tu as griffonné ce plan d’attaque. As-tu tenu toutes tes promesses ? Etant personnellement quelque peu réservé face à l’ardente obligation du « tout technologique », j’aimerais bien pouvoir en débattre avec toi. Convaincu que tu es, probablement, un de nos lecteurs, je lance donc cet avis de recherche en publiant cette page arrachée de ton carnet…

1. « Vendre le Conseil-Marché-Pratique et vente du Conseil », Michel Bignon, CSN, Conférence du Plan (1987)