2013 : le millésime sonne comme une victoire des superstitieux… 13 : un an de malheur ! Quelques fantaisistes firent un temps illusion par leurs vœux pour « une année treize ambitieuse, une année treize agréable »… Mais l’évidence est là qui saute aux yeux : on récoltera, en 2013, rien de mieux que « crise et chamboulements » !

Une telle perspective aura-t-elle raison de nous ? Après tout, qui a lu « Crime et châtiment » a bien survécu et qui a vu « Cris et chuchotements » s’en est bien sorti aussi. Il n’y a pas de raison qu’on succombe à ces « crise et chamboulements ». D’ailleurs, crise n’est pas catastrophe. La catastrophe fait des victimes, la crise non. La crise, c’est juste ne plus pouvoir faire ce qu’on faisait avant. Le chamboulement lui ressemble : c’est être obligé de faire ce qu’on n’avait jamais fait auparavant. L’un comme l’autre nous dépriment, car ils nous forcent à changer nos habitudes. Mais alors, si rester dans la routine favorise le bien-être, exorcisons la morosité de 2013 en immergeant, d’avance, nos situations quotidiennes dans un bain de déprime. Ce ne sont pas les occasions qui manquent et on sera vacciné contre les changements ! Démonstration.

 

Panique à la scandinave (1)

La séance de régularisation authentique avait débuté, à l’aube, dans une salle impersonnelle où, au bout d’un long bureau, végétait Olga Morgensen, la venderesse. Dans une attitude glacée, elle lorgnait le centre de ce bureau où la présence du chèque, posé par l’acquéreur à la roublardise un peu niaise, fixait toutes les attentions comme si passait par lui l’axe de rotation d’une Terre qui s’était arrêtée de tourner depuis lors. En grosses lettres et petits chiffres, luisaient les signes d’un malheur annoncé : « 1, 0, 0, 1, 3, € ». Dix mille treize euros, la somme qu’il fallait payer pour que la vente se fît. Chacun s’efforçait de laisser la barrière de ses dents fermée sur l’envie de hurler une question brûlante : ce chèque ne constituait-il pas une contravention flagrante à l’obligation nouvelle de régler pareille somme par des moyens immatériels ? Inerte, le notaire drapait dans une immobilité totale l’orage de ses tergiversations mentales sur l’issue à donner à une affaire aussi navrante.

 

Angoisse à la slave (2)

Ce notaire, c’était Stepan Paulovitch Yzkoustan. Il avait été nommé par l’entremise du barbier impérial (3). Il tentait, en ce moment, d’inhiber une agitation intérieure dont il pouvait craindre qu’elle s’épanche, finalement, en un flot d’écume épileptique. D’un côté, il voyait dans l’acceptation du chèque illégitime la preuve que lui – Stepan Paulovitch Yzkoustan – pouvait élever son destin au-dessus d’une humanité servile qui avait perdu, depuis peu, la grandeur que l’âme de la terre nourricière avait pourtant toujours su prodiguer à ses ancêtres. D’un autre côté, l’œil qu’il venait de porter au portrait de son imberbe aïeul, et qui tranchait tant avec sa propre barbe hirsute, le poignardait de l’idée qu’il ne fallait pas négliger le serment qu’il prêtait, chaque jour, au vénéré Jan Illitch Tarradine – pope du saint cercle des notaires impériaux – de respecter aveuglément le dogme qu’il dictait pour le bonheur de tous les boyards. L’atmosphère ne pouvait guère s’électriser plus. A 11 h 56 précisément, avec le bruit fracassant d’une porte à peine heurtée qui s’ouvrait dans le gémissement de gonds fatigués, Elma Mayeugenia, clerc commise, surgit, en stridulant « toutes les connections sont coupées ! ». Saisissant l’instant furtif de stupeur interdite d’Olga Morgensen et de terreur misérable du mystérieux acquéreur, Stepan Paulovitch Yzkoustan se jeta sur le chèque en vociférant « qu’on signe ! » alors même que la rupture providentielle des réseaux résolvait son combat mental en une victoire provisoire du réel sur le respect du sublime (…).

 

L’éternel notarial

Est-il si facile d’échapper à la déprime des crises et chamboulements, qu’il suffise de s’administrer au quotidien de telles tragédies ? Hum… Je confesse ne pas y croire. Au contraire, il vaut sans doute mieux se nourrir de béatitudes jubilatoires dont le plus sûr viatique est le sentiment de liberté ! Or, justement, une chose n’a pas changé en 2013, c’est l’empilement continuel d’instructions de tout poil ! C’est par elles qu’arrive l’obligation de changer nos façons de faire, cause objective de nos crise et chamboulements, ces instructions qui nous créent à la fois charges et soucis, bien souvent pour rien d’ailleurs et de toute façon jusqu’à ce que la nouvelle venue contredise la précédente… Eh bien, tirons de cette constante un remède infaillible contre la morosité : jetons à la poubelle la prochaine instruction qui arrive et, tout à coup, jailliront force et liberté qui feront toujours mieux que pleurs ni que râle ! Chiche (4) ?

 

Article écrit Avec la collaboration d’Isabelle, Constance et Justine !

1. Façon Bergman
2. Façon Dostoïevski
3. Le fameux Rase-Poutine…
4. À ceux qui ne sont pas chiches, je recommande la lecture du Defrénois, n° 23 du 15/12/2012, p.1214 § 7