La forte réaction du président Tarrade, certes justifiée, surprend par son importance et sa vigueur. Elle réconforte des troupes ramollies par une suite de renoncements successifs et assoupies dans le confort globalement maintenu. Elle vise à les dynamiser pour provoquer une résistance nouvelle aux assauts qui nous assiègent.

Baston

Depuis bien longtemps, si longtemps, la défense passive de la citadelle tenait lieu de credo notarial : accepter d’abandonner l’accessoire (ou jugé comme tel) avec pour seule contrepartie la conservation du monopole immobilier considéré comme l’unique essentiel. Reconnaissons que la méthode a permis de passer bien des caps difficiles. Mais, peu à peu, les temps ont changé… Ils ne présentent plus le visage humaniste d’antan, basé sur les entraides et le respect mutuel du rôle de chaque intervenant pour assurer l’ensemble des services juridiques de nos concitoyens. Si nous avons tardé si longtemps à réagir à cet irrésistible et probablement irréversible courant individualiste, sans doute, est-ce à cause de la mission pacificatrice dont nous sommes génétiquement imprégnés, à commencer auprès de nos familles, si chahutées et qui en ont de plus en plus besoin.

La coupe est pleine

Peu à peu, la coupe a débordé sous les assauts, de plus en plus directs et répétés, allant jusqu’à bafouer la parole donnée et acceptée. Le coup de Jarnac résulte de cet amendement de dernière minute dans la loi Alur alors en cours de vote : la mise à égalité de l’acte notarié avec l’acte d’avocat auquel on a ajouté, pour faire bonne mesure et noyer le poisson, l’acte d’expert-comptable ainsi désormais introduit dans l’espace juridique ! (1) Ajoutons la revendication de 44 objectifs qui ont caractérisé l’agression, grave et inadmissible. La réaction est parfaitement justifiée, car cette banalisation, sous son apparence benoite et insignifiante, bouleverse l’équilibre contractuel avec l’irruption du chiffre pour mieux conforter et légitimer le nouveau statut de l’avocat, désormais maître du contrat authentique.

L’intérêt général

Ne faut-il envisager le point de vue de l’usager des services, sous l’angle de l’intérêt général, seul susceptible d’être audible ? Ne peut-on craindre que la Chancellerie, qui observe et devra peut-être arbitrer, voire décider, mais aussi le public pris à témoin dans la grande presse notariale, considèrent la querelle comme celle de boutiquiers se disputant le marché ? Revenir aux fondamentaux semble donc bien indispensable pour justifier nos demandes et leur utilité à l’égard de services à rendre. Les motivations avancées, basées sur des aspects théoriques tels que notre rôle sociétal supérieurement fondé sur une authenticité sacralisée, censée servir aux notaires de paravent automatique, n’ont aucune prise sur l’opinion publique. Son opportunisme nous gouverne, via le monde politique soucieux de sa propre pérennité. Notre peuple est fondamentalement égalitaire. C’est cette valeur qui a guidé nos révolutionnaires, dont le peuple a été jusqu’à tolérer, voire applaudir, bien des atrocités inutiles.

Éviter le péché capital du corporatisme

Aujourd’hui, voyons nos réflexes éternels qui portent nos pulsions jusqu’à un égalitarisme mortifère, car porteur de stérilité. L’intérêt général parle à chacun, car il sous-tend un parfum d’égalité dont nous sommes imprégnés et demandeurs inconscients. Voilà bien la direction essentielle qui devrait guider notre action. Chacune de nos demandes aux gouvernants dont nous dépendons devrait être passée au crible systématique et impitoyable de l’intérêt général. C’est bien, semble-t-il, le seul critère capable d’emporter toute décision. Toutes autres valeurs mises en avant ne peuvent venir qu’en appoint. Tout propos pouvant être suspecté de corporatisme, péché capital, devrait être systématiquement évité. Dans l’affrontement dont l’issue reste incertaine, mettons les atouts de notre côté, nous en aurons besoin.

1 – le Conseil constitutionnel viens de censurer les dispositions de l’article 153 de la loi ALUR.