J’étais en train de terminer le 1 238e emballage-cadeau de la journée quand j’entendis mon père maugréer dans la pièce à côté. Venant de ce géant débonnaire à barbe blanche, le fait était assez rare pour que je m’accorde une pause et aille m’enquérir des motifs du mécontentement…
– Ah, Marie-Noëlle, ma fille chérie, viens donc porter secours à ton petit papa !
L’affaire était manifestement plus sérieuse que ses habituels dilemmes entre l’épée lumineuse et le camion de pompiers.
Depuis quelque temps, je reçois moult lettres de notaires désemparés qui se ressemblent toutes : un malaise indéfinissable alors que tout semble aller mieux, tellement indéfinissable qu’ils ne savent même pas quoi me demander, ce qui ne les empêche pas d’écrire pour me raconter qu’ils ont été très sages.
Et ?
Et franchement, ma petite Marie, je n’ai pas plus d’idées qu’eux sur ce qui leur ferait plaisir… Tu ne voudrais pas t’en occuper, ma bichounette ? Le tout accompagné d’une telle mimique que je le quittai dans un grand éclat de rire, impatiente de faire mes preuves.
Malaise indéfinissable
Après avoir écumé une bonne centaine de cheminées, je commençai à avoir une idée plus précise de la dichotomie qui affectait le notariat :
D’un côté, des professionnels passionnés par leur métier, reconnus et appréciés par leurs clients, simples artisans ou dirigeants de petites ou moyennes entreprises pratiquant une éthique et une technique commune, remplissant chacun leur rôle sociétal, quelquefois social ;
De l’autre, un manque de reconnaissance de cette même société, une méfiance chronique du législateur et des magistrats, des attaques journalistiques permanentes, un isolement vis-à-vis des autres juristes, des accusations injustes de corporatisme moyenâgeux et d’octroi de privilèges exorbitants.
Même s’il était de notoriété publique qu’ils gagnaient très bien leur vie, le fait que leur activité était régulièrement qualifiée de « métier d’argent » les exaspérait, eux qui s’efforçaient en permanence d’assurer la sécurité des plus modestes.
Tout cela était trop bien ancré pour disparaître en une nuit, fut-ce celle du 25 décembre. Aussi élaborai-je une stratégie à long terme, que je m’empressai d’aller exposer à mon petit papa…
Belles idées…
Voilà ce que j’ai trouvé ! L’utilité et les fondements du notariat ne sont pas en cause, c’est la manière dont la profession s’organise qui n’est plus conforme à la société. Ce n’est pas à la société de s’adapter au notariat, mais au notariat de s’adapter à la société. En plus de leur représentation nationale auprès des Pouvoirs publics, il convient que les notaires mettent en place un syndicat averti et médiatique dont le rôle sera de réagir systématiquement, avec force et pertinence, à toutes les accusations, articles et faits divers concernant la profession, assénant aux médias des vérités que les personnes mises en cause ne peuvent exprimer directement du fait de leur devoir de réserve. Il faut également des structures permettant à des représentants locaux de constituer des groupes de travail affranchis de tout dirigisme pour regarder avec lucidité la société et de proposer aux instances professionnelles les évolutions nécessaires dans la manière d’être et d’exercer. Alors, petit papa, tu penses qu’on pourrait leur faire ces deux cadeaux ?
À ma grande déception, il partit dans un grand éclat de rire :
Oh Oh Oh, ma petite Marie, tu es bien la fille de ton père ! Le syndicat, les structures qui proposent librement des adaptations à la société, il y a des dizaines d’années que je les ai offerts au notariat, que ce soit le SNN, l’assemblée de liaison ou MJN, et pour quels résultats ? Le Syndicat fait de la politique et est inconnu du grand public. Quant aux structures, elles ont eu tellement de « regards » sur le présent et l’avenir qui sont restés lettre morte, sous prétexte que ce n’était pas le moment ou, pire, politiquement incorrect, qu’il faudrait une encyclopédie pour les énoncer ! Tu as bien fait de raviver ma mémoire, j’ai là quelques joujoux non réclamés, je vais me faire un plaisir de leur offrir. Tiens, prends ce beau tableau de bord en plastique avec radar lumineux incorporé, cette nintendo® qui affiche un conseil patrimonial en fonction de l’âge et de la situation familiale du joueur, ce bon pour un achat groupé en Birmanie de 165 275 stylos et 8 725 ramettes de papier… Alors que je collectais ces jouets d’un air un peu pincé, mon petit papa me fit un gros smack bien sonore sur la joue qui me rendit ma bonne humeur. Mais, en les chargeant sur le traîneau, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que la prochaine fois que je parlerais des notaires, ce serait à Jean-Balthazar, le fils du père fouettard. Joyeux noël !
Marie-Noëlle *
* Avec la collaboration de François Taddei et de Jacques Dutronc.