Une chose m’étonnera toujours dans notre profession, c’est la pensée unique à travers une voix unique. Il est vrai que notre structure pyramidale y incite, et ce fonctionnement a souvent fait la force du notariat…
Quand le Président du Conseil Supérieur s’exprime, dans la presse ou face aux Pouvoirs publics, il le fait au nom des 9 000 et quelques notaires de France et de leurs 50 000 et quelques collaborateurs : ça compte. Mais ce discours unique est-il aujourd’hui toujours efficace ? Ne serait-il pas plus pertinent de laisser s’exprimer d’autres opinions, non officielles, pouvant elles aussi contenir de bonnes idées et des arguments pertinents ? Certes, nous voyons par-ci par-là quelques initiatives d’électrons libres. Nous avons ainsi vu apparaître, à la fin du printemps, une tentative de manifestation née dans le Vaucluse. Elle consistait à retenir la publication des actes pendant un mois et à les déposer tous en même temps pour montrer le poids de notre profession. Il existe en ce moment une autre initiative incitant les compagnies à voter une motion contre l’acte d’avocat pour faire valoir les intérêts du notariat auprès des parlementaires. Combien ont suivi la première ? Beaucoup, mais probablement trop peu pour que l’impact en soit ressenti. Combien suivront la seconde ? Nous le saurons bientôt, une fois les assemblées générales de novembre passées. Gageons que, pour cette dernière, le caractère collectif, et donc anonyme, fera s’élever plus de voix.
Omerta
D’où vient cette omerta ? Est-ce notre statut d’officier public, soumis à un devoir de réserve ? Le devoir de réserve n’est pas un devoir de silence. Même à l’intérieur de notre revue, nous ressentons cette réserve. Nos colonnes sont ouvertes à tous, mais peu d’entre vous en profitent et, bien souvent, les auteurs veulent rester anonymes. Ont-ils peur ? De quoi ? De subir des inspections un peu plus musclées ? D’avoir des tracasseries lors d’une éventuelle nomination future ? D’être confrontés à des représailles de la part de nos « dirigeants » qui n’aimeraient pas l’expression du « notarialement incorrect » ? Aucun texte de notre règlement interdit d’exprimer des opinions contraires à la ligne « du parti ». Nous n’avons encore eu connaissance d’aucune sanction disciplinaire ou judiciaire concernant un notaire ou un collaborateur qui aurait exprimé, haut et fort, des opinions divergentes de la position officielle. Le mythe « tous sur une ligne et qu’aucune tête ne dépasse » assorti à celui de « tous au garde-à-vous et le petit doigt sur la couture du pantalon » seraient-ils si puissants ? Dans ce domaine, il y a décidément beaucoup à changer et notre profession doit évoluer.
Le salut dans la diversité
Sans remettre en cause en quoi que ce soit l’efficacité de nos instances dirigeantes, je pense que le salut sera dans la diversité. C’est de la diversité que naît la richesse, c’est du mélange que naissent les bonnes idées, c’est du foisonnement que naît l’excellence. Il faut que notre profession s’ouvre à elle-même avant même de pouvoir s’ouvrir aux autres. Les ignorants nous taxent souvent d’obscurantisme, de manœuvres secrètes, de profession la plus puissante de France. Ne faudrait-il pas, pour contrecarrer ces attaques, commencer par donner l’exemple en admettant la transparence interne, la diversité d’opinions ? Car il est tout à fait impossible que tous les notaires pensent toujours la même chose. Chacun a des problèmes différents, selon le lieu où il pratique, la taille de son étude, sa clientèle, etc. La difficulté de faire passer le message quand il descend de la tête vers la base vient bien de là. Comment faire passer la même consigne à la fois à un notaire parisien ou de grande ville et à un notaire rural ? L’un ou l’autre (voire les deux), aura forcément la sensation que ça ne le concerne pas.
Vive les structures indépendantes
Je veux bien admettre qu’il n’est pas facile pour un individu de sortir du rang tout seul. Alors pourquoi ne pas utiliser les structures qui sont à notre disposition pour ce faire ? Combien de notaires sont-ils adhérents au Syndicat ? L’adhésion au Syndicat devrait pourtant être obligatoire, c’est le seul organisme ayant légalement le droit de représenter la profession en justice, française ou européenne. Combien d’adhérents, notaires ou collaborateurs au Mouvement Jeune Notariat ? Combien de lecteurs de Notariat 2000 qui nous écrivent pour être publiés et sans demander l’anonymat ? Pas assez. Nous devrions tous être abonnés et tous nous exprimer dans cette revue indépendante. Alors forcément, quand des initiatives non-officielles naissent, nous en sommes forcément surpris et quelque peu admiratifs. C’est vrai qu’il faut du courage, et si nous en manquons, ne serait-ce pas alors à nos dirigeants de nous inciter à en prendre ?