Et si la forfaitisation des émoluments des notaires était une occasion pour les notaires de devenir avocats ? Yvon Rose (Lyon) fait un étrange rêve…
Imaginons, du jour au lendemain, toutes les études de notaires vides. Tous ensemble (un 25 ventôse ?), nous demandons d’exercer comme avocats.
Le Barreau nous ouvrira les bras puisque même un homme (ou une femme) politique peut être admis. Comme il n’y aura pas assez de successeurs dans nos offices, il n’y aura plus de notaires. Et donc plus de Télé@ctes, plus de dépôts aux services de la publicité foncière, plus de ventes (le temps que les avocats et l’État s’organisent), plus de droits de mutation perçus, plus de déclarations de plus-values, plus de dépôt de fonds clients à la CDC, plus de rentrées fiscales dans les caisses du Trésor. Pire que la marée basse, l’évaporation ! Celle de cette eau notariale qui semblait si calme et si rangée.
Aussitôt l’État supprimera
le décret de 1955 et rendra l’accès libre au fichier immobilier.
Il devra réembaucher du personnel pour surveiller les actes et surtout les évaluations. Et ce sera une aubaine pour nous ! Devenus avocats, nous retrouverons nos clients, nos correspondants, nos collaborateurs, nos spécialités immobilières et de famille avec des honoraires libres. Libres, vous dis-je ! La perte du financement de l’étude (puisqu’il faudra bien démissionner, sans compensation) sera vite compensée par cette liberté complète d’agir et de recommencer nos ventes et nos successions. Calculons bien ! Le compromis : payant. La minute d’écoute sans rien dire : payante. Le coup de fil : payant à la seconde. Le moindre renseignement : payant. Encore mieux, si nous prenons la plume : une fortune. Dès qu’un quidam s’assied, il lui en coûte 800 euros minimum (ht naturellement)… Eh oui, Monsieur, il ne fallait pas vous asseoir ! La machine à billets va tourner ! Presque autant que les dépassements d’honoraires de certains.
En 2 ans, nous rentrerons dans notre argent ! Nous pourrons alors sélectionner nos actes, nos clients.
Nous laisserons aux agents immobiliers du coin le soin d’être l’armée du Salut s’ils le souhaitent (comme aux USA). Beaucoup de biens tomberont en déshérence, des assurances s’occuperont des titres douteux, les prétoires se rempliront, mais nous nous donnerons ainsi du travail supplémentaire en tant qu’avocats spécialistes de l’immobilier ! Le pactole. Bien sûr, il faudra des magistrats supplémentaires pour tous ces litiges. Qu’en avons-nous à faire ? Nous nous organiserons comme nous voulons. Nous pourrons même avoir une comptabilité externalisée, déposer nos comptes à notre guise, au meilleur taux. Le rêve ! Comme avocat, nous informerons nos clients comme il nous plaira, en gardant nos atouts pour les effets de manche et terrasser la partie « adverse ». Certes, les clients ne seront pas tous « éclairés », ce sera à l’assistance judiciaire d’y pallier et au budget de l’État de supporter les plus pauvres. Seulement du « business » les amis ! Il faut choisir : soit le forfait de nos émoluments et les chaînes qui vont avec, soit la liberté ! « Allez hop ! tous à la ville ! », adieu la campagne. Les Français viendront de toute façon nous voir comme ils vont à l’hôpital le plus proche.
On se regroupera alors en grands pools d’avocats spécialisés dans l’immobilier, dans le droit de la famille, taille optimum oblige.
Nous concurrencerons les avocats actuels sur les divorces et les partages dans les prétoires où nous donnerons de la voix et nos cartes de visites ! Nos groupements feront basculer la majorité lors de l’élection des bâtonniers. Certains d’entre nous pourront conseiller des montages sophistiqués, des sociétés civiles savantes à leurs clients pour s’installer en Belgique, en Suisse ou à Los Angeles, placer des fonds à la Banque de Singapour Air L., conseiller des footballeurs dans le respect total de la législation maltaise. Certes, l’immobilier français sera mis en coupe serrée sous S.C.I, mais les cessions de parts nous éviteront tous nos anciens diagnostics. Le plus grand nombre d’entre nous fera exactement la même chose qu’aujourd’hui, avec des actes contresignés par avocat, sans les contraintes. Notre âme de douanier protecteur de l’emploi et de l’État républicain fera place à celle de l’astucieux comme un contrebandier et celle de l’habile en côtoyant de près les grands cabinets d’expertise comptable anglo-saxons, nos futurs partenaires privilégiés. De l’interprofessionnalité enfin. L’air du grand large. Ouf ! Plus de risque de mésentente, à chacun ses honoraires comme il le sent, ses heures de travail. Plus de cotisations ! Des élections libres ! Plus d’inspection, plus d’article 4, plus de tutelle du ministère de la Justice, plus de CSN, plus de ligne K, seulement le souci de sa propre ligne sur les terrains de golf ou les courts de tennis. Nous rendons-nous bien compte ? Alors chiche, tous avocats ?