Le rouleau compresseur de la Commission européenne démontre, une fois encore, sa surdité sélective, mais redoutable, à l’égard du Parlement censé représenter les Européens.

 

Satisfaits, avec raisons, du coup d’arrêt arraché de haute lutte par les notariats dont la cheville ouvrière et décisionnelle fut, comme d’habitude, notre CSN et son président Laurent Dejoie, nous pensions enterrée la directive « services » dans son application aux notaires. L’accalmie fut de courte durée. Dès la mi-octobre, l’assaut a repris avec une menace plus directe encore : poursuivre 16 États dont la France au motif de réserver le panonceau à ses seuls nationaux. Libéralisation oblige !

Certes, nous pouvons compter sur la pugnacité du Président Reynis et de son équipe. Sans doute, la panoplie de l’actuelle Chancellerie s’ouvrira encore avec quelques chances de succès. Mais suffira-t-elle sur le long terme ? Rien n’est moins sûr ! Ce domaine est ultra-sensible et nous devons nous attendre à une guerre de tranchée sans merci. Car il ne s’agit rien de moins que de la primauté de la Common Law sur le droit écrit, du lawyer sur le notaire. Les premiers ont le nombre, la langue, la puissance économique ; les seconds s’abritent derrière une fort intéressante argumentation juridique hélas parfaitement inaudible à une oreille anglo-saxonne ou irlandaise, celle-là même qui pilote Bruxelles. Ainsi peut-on lire sur internet de flamboyantes réactions. Exemple : « N’en déplaise à la Commission, le notaire n’est pas un plombier polonais comme les autres ».

L’image sert-elle le notaire ? On peut en douter ! À coup sûr, elle doit commencer à indisposer bien des pays, à commencer par nos amis polonais dont la France était une alliée historique solide. Quant à l’argument, plus sûr, de la délégation souveraine, n’est-il pas inexplicable à un esprit anglo-saxon ? L’exemple du bail, dont la force exécutoire sert le propriétaire, est-il suffisant quand on constate que ce marché, comme d’autres d’ailleurs, est presque totalement abandonné par le notaire français au profit de l’acte sous-seing privé ?!…

 

Décision de la Cour

La Cour de Justice tranchera. Là, nos influences de salon, notre poids politique n’auront guère cours ! La procédure, rédigée en anglais, en suit probablement les règles. L’authenticité en cause, émanation des souverainetés nationales, y est absente, voire totalement inconnue. Il suffit d’ailleurs de voir dans nos prétoires gaulois, dans nos parlements et dans nos propres études, comment elle est traitée ! Elle est bourrée de mentions manuscrites, ensablée d’annexes dantesques, asphyxiée des formules obscures. Nous ne parvenons pas à l’imposer et à la défendre intra muros. Comment espérer la promouvoir devant une Cour à majorité anglo-saxonne ? À Bordeaux, le notaire et l’authenticité ont-ils une place dans l’enseignement à nos futurs magistrats ? Le droit des contrats, dans nos facultés, lui consacrera-t-il un chapitre ? Nos organes statutaires ou périphériques utilisent-ils l’acte notarié quand il est facultatif ? Nos avant-contrats, nos baux, nos actes du droit des affaires sont-ils majoritairement notariés ? Seule la forme issue de la publicité foncière tient encore le fond authentique !

16 États sur 25

16 États sur 25, donc majoritaires, connaissent le notariat en Europe. Et pourtant notre position est celle de la citadelle assiégée. La Commission, nous le savons, ne nous lâchera pas. Nous sommes provisoirement soutenus par la Chancellerie, qu’adviendrait-il si le vent tourne ? Ne serait-il pas grand temps de « mettre le paquet » sur une politique active de promotion véritable et non plus seulement de défense passive ? En actes plus qu’en paroles. En élargissant le domaine illimité de nos interventions aujourd’hui rabougri, à l’abri du décret de 55. Alors, sans doute, notre défense serait plus crédible car plus visible de nos clients. En toute hypothèse, n’est-il pas préférable et plus sûr de tenir notre pérennité de nous-mêmes en assurant, cultivant et proposant un service patrimonial élargi, appréciable de nos concitoyens ? Jusqu’à obtenir d’être choisi plutôt qu’imposé ! Ce défi, encore possible, mais si éloigné de nos préoccupations devrait valoir une direction clairement pointée, servie par une énergie sans faille. Au final, ne serons-nous pas jugés, donc défendus, à l’aune du service rendu et surtout « perçu » ?