Lorsque quelqu’un vous parle de péréquation, que comprenez-vous ? Qu’on va prendre aux riches pour donner aux pauvres ? Qu’on va « assister » ceux qui ne font rien en les alimentant de subsides non mérités ? Qu’on va donner à ceux qui font des actes simples, voire simplistes, le légitime fruit du travail complexe, voire ardu des notaires les plus talentueux ? Et si c’était autre chose…
Il ne suffit pas qu’une idée soit bonne pour qu’elle fasse son chemin et se concrétise. La péréquation en est un exemple. Prononcez simplement ce mot et vous passerez aussitôt pour un partageux inconscient qui veut attribuer une prime à la fainéantise. En fait, l’idée de péréquation a toujours été teintée de « caritatif ». Elle véhicule l’idée que les « gros » (ne vous vexez pas les Obélix, on parle de chiffre d’affaires !) doivent aider les « petits ». Pas étonnant que ses adeptes n’aient pas obtenu d’échos favorables de la part de nos institutions, dans lesquelles les « petits » sont d’ailleurs quasi inexistants… Mais oublions les notaires et préoccupons-nous de ce qui nous unit : le service public notarial et l’authenticité.
Le tarif des notaires est national : à dossier et travail égal, l’acte devrait donc coûter une somme identique, nous sommes bien d’accord ?! Pourtant, on ne cesse de nous accuser de pratiquer un tarif à géométrie variable, d’abuser des honoraires libres ou de multiplier les UV, malgré le risque d’insolation… Mieux : certains d’entre nous négligent ou évitent les actes dont la rentabilité leur paraît insuffisante… Le tarif, présenté comme notre rempart le plus sûr contre les prétentions de nos concurrents, est en fait un amplificateur de leurs arguments, quand il n’est pas l’axe central ou unique de leur argumentation… On veut supprimer notre domaine d’intervention réservé, mais le monopole de postulation des avocats ne gêne manifestement personne. On veut supprimer notre tarif et, pourtant, on nous reproche, sans cesse, des « dérives libérales » ! Les plus pauvres parmi les notaires ne sont pas, loin s’en faut, des pauvres en comparaison de nos concitoyens. Les plus modestes d’entre nous n’en sont pas moins notaires et font aussi bien notre « cœur de métier ». On nous présente l’acte authentique comme « un outil de sécurisation extrêmement performant ». Est-il justifiable que cet acte soit tarifé en fonction de la valeur de l’objet dont il traite ? Est-il concevable que nous soyons obligés d’assurer un conseil entraînant une obligation de résultat pour un acte qui nous rapporte tout juste de quoi payer le coût de son archivage sur la durée de 75 ans qui nous est fixée ? Si l’acte authentique présente de telles qualités, elles ne résultent en rien du sujet dont il traite. Il a, de toute évidence, une valeur intrinsèque et, plus évident encore, un coût incompressible. Sa rémunération minimale ne devrait donc pas pouvoir être inférieure à son coût.
Question d’équilibre
Ce premier postulat se heurte hélas immédiatement à des préoccupations égalitaires : on ne peut pas faire payer à de petites gens le coût réel de l’acte. Les petits actes sont donc compensés par les gros actes, l’équilibre s’établissant dans l’étude entre les actes rémunérateurs et les actes à perte. Certes. Mais pourquoi avoir établi la limite de l’équilibrage à l’étude ? Certains d’entre nous ne signeront jamais aucun acte au tarif minimal. D’autres n’atteindront jamais le plafond de négociabilité des émoluments imposé par M. Strauss-Kahn. Un notaire, situé dans une zone de faible valeur, fera de multiples actes non rentables et passera de précieux instants à expliquer pourquoi on doit lui verser 700 € de frais pour 100 € de prix. Et lorsqu’il aura l’opportunité de gagner enfin sa vie, il y a forte probabilité qu’un notaire lui soit imposé en concours par l’agent immobilier (1) ! Rien ne doit être pris aux « riches », rien ne doit être donné aux « pauvres ». Il n’est pas question d’assistanat. Nos actes doivent être rémunérés à leur juste valeur, notre tarif doit être limpide et sans la moindre possibilité d’interprétation, le coût pour le client devant être légitimement proportionné. C’est à cette seule condition que nous remplirons réellement notre rôle : assurer un maillage territorial complet de professionnels (notaires et clercs) compétents, bien équipés, à l’abri des tentations et qui feront, pour un public rasséréné et confiant, des actes de qualité. A ce jour, certains s’arc-boutent sur un tarif qui a raté son objectif (2). Ils pensent qu’il est leur meilleur argument. Le tarif peut être, comme la langue selon Esope, la meilleure ou la pire des choses. Et pour le pire, le tarif actuel pourrait bien être le meilleur !
1. Ne niez pas, vous l’avez tous vécu (dans un sens ou dans l’autre) : si le client fait intervenir son notaire, en général, il connaît ce notaire !
2. Nous éliminer en nous laissant exsangues et impopulaires, merci l’inflation !