Nous avions pris l’habitude, à notre corps défendant, d’être « ciblés » par la presse de tous bords. Voici maintenant une attaque autrement plus sérieuse avec « Que choisir ? » qui publiait, le 28 décembre dernier, une enquête sur les dérapages de certains notaires…
L’article est un modèle du genre qui évite les exagérations coutumières. Le ton modéré contribue à sa « dangerosité » et les arguments font mouche sur le lecteur lambda, témoignant d’une parfaite connaissance du terrain notarial. À tel point qu’on se demande si le journaliste n’a pas bénéficié d’un concours interne pour dresser notre « procès » en 6 temps.
1 – « Certains notaires dérapent ! ». Le titre de l’article plante le décor. L’environnement sécurisé du numerus clausus, le monopole conduisent naturellement à une « confusion des genres » qui s’appuie sur une « trop grande proximité de certains notaires avec des promoteurs ». Ce dont le « consommateur fait les frais ».
2 – La déontologie oubliée. Le journaliste dénonce la collusion immobilière et décrit un certain nombre « d’affaires » de promotion qui ont hanté récemment les prétoires de Marseille, Nice, des Côtes-d’Armor, de Seine-Maritime et de l’Allier. Pondéré, il note que ces malversations ne concernent qu’une « dizaine de notaires ». Le clou est toutefois bien enfoncé : « ceux qui sont mis en examen bénéficient de la présomption d’innocence, c’est inquiétant ». Que peut-on ajouter ?
3 – Le travail bâclé. L’article fait état d’exemples peu glorieux, bien connus des premiers syndics, via les plaintes et réclamations. « Acte de vente truffé d’erreurs grossières », clercs travaillant « à toute vitesse, copiant-collant des actes à la chaîne », notaires oubliant « plusieurs fois une page dans les actes et pas n’importe laquelle ! ». Les noms des programmes sont égrenés : Apollonia, Simbiosis, Guynemer… Et d’expliquer que « les notaires impliqués sont soupçonnés au mieux d’avoir mal conseillé des clients désireux d’investir dans des projets immobiliers défiscalisés, au pis d’avoir couvert des opérations frauduleuses menées par des pseudo-promoteurs peu scrupuleux ».
4 – Les biens surpayés sont la plaie béante et récurrente de trop de programmes immobiliers défiscalisant. Selon le journaliste, certains notaires ont « enregistré sans broncher des centaines d’actes de vente concernant des appartements (…) dont les prix sont manifestement déconnectés de la réalité locale ». Pourtant, ils « possèdent la meilleure base de données sur les transactions immobilières de France, baptisée Perval »… L’argumentaire est imparable : « le notaire est tenu d’informer et d’éclairer sur la portée et les effets de leurs décisions, sans dissimuler les risques de l’acte auquel il prête son concours. Le cas échéant, il doit leur déconseiller de s’engager ». Tout montage « hasardeux » engendre une « obligation de conseil renforcé ». La crédibilité de l’article est appuyée par un tempo inattendu : « Dans leur immense majorité, les notaires sont fiables. Leur système d’autocontrôle est imparfait, mais il a le mérite d’exister. Les cabinets d’avocats n’ont rien de comparable. C’est un point à souligner… » (sic).
5 – Les frais d’actes sont passés au crible. En bon défenseur du consommateur, l’auteur conseille « d’être pointilleux », « de détecter les abus » et de « surveiller les petites dépenses ». Eh oui ! Tentant alors une comparaison hasardeuse (et partisane), l’auteur revient sur le projet d’une grande profession du droit telle qu’évoquée par le rapport Darrois. « Les avocats (…) pourraient se voir accorder la possibilité d’établir des actes authentiques (…). Cette concurrence diminuerait sans doute les frais de transaction au bénéfice des consommateurs. Selon une étude publiée en décembre 2007 par l’université de Brême, en Allemagne, ils sont beaucoup plus importants dans les pays où existent des notaires ». Et de conclure, benoîtement, « les notaires sont chers, mais les notaires sont sûrs ». L’estocade n’est pas loin : « C’est précisément l’industrialisation de certaines études notariales, devenues des machines à vendre, qui rend leurs privilèges difficiles à accepter ! ».
6 – La problématique Unofi clôt le bal. Elle place le CSN « aux commandes d’une myriade de sociétés emmenée par Unofi ». Les bénéfices se chiffreraient en millions d’euros. Sous la pression du gouvernement, « le CSN a accepté de prendre ses distances avec l’Unofi en cédant une partie du capital à la société d’assurances Axa. Les ponts sont toutefois loin d’être coupés. Fin 2010, les notaires cherchaient un moyen légal de continuer à travailler avec l’Unofi ».
À la fin de cet éprouvant pilori, on se trouve démunis face à la dureté de l’attaque frontale. S’il faut ne retenir qu’une seule leçon, ne tient-elle pas en définitive en trois mots : « Savoir dire non ? ». Les apprend-on à nos collaborateurs, à nos successeurs ? Quand la simple moralité déserte nos familles et nos écoles, faut-il s’étonner ? Une chose reste claire : la poursuite de l’appât du gain à outrance compromet notre existence. Ne doit-on pas dire à ceux qui choisissent d’entrer chez nous principalement pour l’argent que leur place ne peut être dans le notariat ? C’est d’autant plus évident que notre statut garantit, au plus grand nombre, un niveau de vie suffisamment confortable pour éviter la recherche à tout prix du « toujours plus » dont nous éprouvons collectivement le boomerang retour. Autour du « Savoir dire non », un bon pédagogue ne pourrait-il « revisiter », en une journée, toute notre déontologie ? Tenter un statu quo semble en tout cas bien risqué.