Les plus défaitistes vous le diront, la bataille serait vaine, et notre sort est déjà scellé : “si nous, les notaires, avions été plus nombreux, les avocats auraient bel et bien pris la pâtée”… Mais la bataille n’a pas encore eu lieu. Nous vivons pour l’instant des escarmouches, des harcèlements, et une campagne de propagande, surtout destinés à atteindre notre moral… Triste guerre qui n’aura que des victimes collatérales puisque les deux armées finiront par trouver un modus vivendi aux dépens du commun des mortels.

 

Il y a quelques années, alors que je suivais une formation à la médiation, j’ai eu l’occasion de rencontrer un avocat impliqué dans le conflit qui m’accueillit en ces termes : “Vous, les notaires, nous allons vous bouffer !”. La réponse que je lui fis le laissa un temps interloqué : “Et vous, vous en crèverez !”.

Depuis notre plus jeune âge, on nous déconseille de porter n’importe quoi à la bouche. Il ne me viendrait sûrement pas à l’idée de manger quelque chose que je ne connais pas, sans étudier préalablement les conséquences de cette ingestion aventureuse. Or, les avocats ne nous connaissent qu’à travers ce que nous révélons, c’est-à-dire, somme toute, peu de choses… Les rares qui puissent nous connaître, et veulent réellement notre perte, sont bien souvent issus de notre profession. Ils ont généralement connu une issue fatale au terme d’une carrière controversée. “Les paroles s’envolent, et les aigris restent” ! D’“infréquentables” mis à l’écart, ils sont devenus des “chevaliers blancs” : ils défendent les victimes des notaires. Et ces braves gens, qui ne veulent que “le bien” de la population, n’ont de cesse de souligner les défauts de notre profession. “Les notaires sont incompétents”, “ils ne sont pas des juristes”, etc… Pendant ce temps, nous continuons notre communication gentillette, certains de notre bonne foi, rassurés par les déclarations de ceux auxquels nous sommes soumis et qui prétendent vouloir les mêmes choses que nous… Mais qui sommes-nous au juste ?

 

Identité notariale

Il faudrait peut-être définir ce qui constitue réellement l’identité notariale ! Être un notaire, est-ce simplement une posture ? Ou bien est-ce l’aboutissement d’un long cheminement ? Sommes-nous des “privilégiés inutiles” dont la suppression directe ou indirecte serait un plus pour le développement harmonieux de la société ? Sommes-nous plutôt des professionnels sélectionnés et ultra-surveillés qui peuvent parfois bénéficier d’une situation favorable ou, inversement défavorable, sans que ces circonstances influencent le ressenti du client ? Si demain nous étions noyés à notre corps défendant dans la masse des juristes, serions-nous les pires ou les meilleurs ? Serions-nous invisibles ? Je n’ai aucune véritable crainte lorsque je vois l’action tellement efficace et merveilleuse de nos postulants à l’égalité. Ma crainte viendrait plutôt, en tant que client potentiel de ces futurs “notavocs”, de la transformation que risquent de subir les notaires… On souligne la paille que nous avons dans l’œil et, plus étonnant encore, nous ne cessons de le faire nous-mêmes en anticipant en permanence sur les critiques potentielles. Mais personne n’a jamais pris le temps de mettre sous le feu des projecteurs les magnifiques poutres en chêne massif qui constituent la colossale charpente qui siège dans l’œil de nos détracteurs ! Si l’on dit que la justice est aveugle, de quoi croyez-vous que cela provienne ?

 

Pandore

Alors, avant que nous ne finissions sur la paille (celle de notre œil s’entend, car je ne suis pas sûr que nous ayons tous réellement à y perdre), rappelons à tous ceux qui s’apprêtent à ouvrir la profession qu’il en est du notariat comme de la jarre de Pandore : toutes nos mauvaises intentions, tous nos bas instincts, toutes nos tentations inavouables y sont enfermés. Mais si quelqu’un venait imprudemment à briser le sceau assurant la protection de ceux pour lesquels notre destin a été un jour scellé par une prestation de serment, il faudrait plus qu’un “petit oiseau vert” pour rétablir l’espoir *. Toutes les réformes envisagées ont pour bénéficiaires essentiels ceux qui les demandent, voire ceux qui restent cachés en embuscade et ont déjà obtenu l’essentiel (l’assimilation des juristes d’entreprise aux avocats). Ne serait-il pas encore temps de s’adresser directement, clairement, et humblement, à ceux qui seuls devraient motiver la soif de réforme des structures juridiques, ceux qu’on appelle souvent avec condescendance “usagers du droit” et qui, sauf erreur de ma part, n’ont finalement rien demandé ?

 

*Lorsque Pandore ouvre le vase : tous les maux en sortent, et se propagent silencieusement sur Terre, affligeant tous les humains. Néanmoins, le dernier à sortir du vase est Elipsis, « l’Espérance », qui prend l’aspect d’un petit oiseau vert.