Notariat 2000 a rencontré, fin juillet, Me Jean-Pierre Ferret, notaire à Montpellier, Président du Conseil supérieur du notariat. L’occasion de faire le point sur la crise économique qui n’épargne pas le notariat, mais aussi sur la commission Darrois et l’acte d’avocat. Entretien.

 

Notariat 2000 : Quelles sont les conséquences directes de la crise économique sur le notariat ?

Jean-Pierre Ferret : Ces conséquences sont évidentes. Après un ralentissement fin 2008, le premier semestre 2009 a été marqué par une forte chute d’activité, mettant de nombreux offices en difficulté. Les notaires ont du ajuster leurs effectifs à leur nouveau rythme d’activité. Près de 3000 emplois ont été supprimés depuis juillet 2008. Dans la majorité des cas, il s’agit de départs à la retraite ou de non renouvellement de CDD, mais il y a eu aussi des licenciements économiques (110 sur les 6 derniers mois 2008, 918 sur le premier semestre 2009). Très vite, nous avons réfléchi aux moyens d’aider les offices en difficultés. Cela s’est traduit en mars dernier par la mise en place de diverses mesures, notamment de financement : report d’échéance, rallongement de la durée de prêt, prêt de restructuration, prêt de trésorerie… Ces dispositifs résultent d’un partenariat avec la Caisse des Dépôts, les instances locales (régionales et départementales) et l’Association notariale de caution (ANC) (1).

 

Notariat 2000 : Que conseillez-vous aux notaires « en crise » ?

Jean-Pierre Ferret : Tout d’abord, d’éviter le licenciement ! En période de crise, agir sur le volume de la masse salariale est tentant. Il nous paraît indispensable de conserver le personnel et de préserver l’avenir. Nous avons des collaborateurs de qualité qui ont prouvé leur attachement à la profession. Une large palette de mesures permettent d’éviter l’irréversible : mise en œuvre de congés de formation, gestion des congés par anticipation et des RTT, chômage partiel… J’ai personnellement mis en pratique cette dernière mesure. Le passage de 35 h à 28 h hebdomadaire a mieux été accepté par les salariés dès lors que nous avons réorganisé leur temps de travail sur 4 jours.

 

Notariat 2000 : L’augmentation du nombre des notaires n’est-elle pas incompatible avec la crise ?

Jean-Pierre Ferret : L’augmentation du nombre des notaires n’est pas un dogme : elle doit répondre à une vraie demande de service. Nous constatons aujourd’hui une chute de notre chiffre d’affaires (-17,2 % fin juin), liée essentiellement à la baisse d’activité du secteur immobilier. Les notaires ont moins de travail, donc moins de besoin de prendre un associé ou un notaire salarié. Les futurs notaires savent que la période est difficile. Nous ne les dissuadons pas de s’installer, mais nous veillons à ce qu’ils soient vigilants. Certains dossiers sont ainsi décalés pour éviter de les mettre en difficultés. Sur le plan financier, le Conseil supérieur du notariat a conclu un accord avec l’ANC et la Caisse des dépôts pour obtenir une baisse des taux des nouveaux prêts d’installation. Nous sommes également sensibles aux difficultés que rencontrent les jeunes pour trouver un stage. À cet effet, nous avons diffusé une circulaire invitant les conseils régionaux à prendre des mesures d’accompagnement : aides à l’embauche, subventions aux offices embauchant un stagiaire, le tout pour compléter les aides accordées par le CSN.

 

Notariat 2000 : La commission Darrois propose que tout diplômé notaire puisse poser sa candidature à une création d’office notarial au sein d’une structure interprofessionnelle. Que pensez-vous de cette proposition ?

Jean-Pierre Ferret : Je ne vois pas l’intérêt de créer des études spécifiques pour ceux qui, avant même d’avoir pu exercer, s’engageraient à s’associer avec un avocat. Outre le fait que la déontologie du jeune notaire risque d’en souffrir, j’y vois également une inégalité devant la loi par rapport à ceux qui passent un concours de création d’office… et qui n’ont pas de postes réservés. Enfin la création d’offices est faite pour répondre à un besoin de service notarial : pourquoi prévoir la nécessité d’être associé à un avocat ?

 

Notariat 2000 : Que vous inspire la proposition sur l’acte contresigné par un avocat ?

Jean-Pierre Ferret : C’est la porte ouverte pour permettre aux avocats de revendiquer une assimilation avec l’acte authentique, alors que l’acte contresigné n’en présente aucune des caractéristiques. L’étape suivante sera l’accès au fichier immobilier, alors que c’est justement le souci de garantir un fichier fiable et à jour qui a justifié son accès réservé à l’acte authentique. Sur le fond l’acte contresigné n’apporte rien, personne (particuliers, entreprises, institutionnels) ne le réclame, seuls les avocats le revendiquent. De plus, avec le contreseing, on risque d’affaiblir notre système juridique. L’acte contresigné par un avocat donne un argument aux juristes de la Common Law à qui on ouvre, par ce biais, le marché français. Si l’acte d’avocat voit le jour, les solicitors britanniques sauront en profiter et demain ils contresigneront des contrats français en se prévalant auprès de leurs clients de la quasi-authenticité de ces derniers !

 

Notariat 2000 : Vous venez d’être reçu par Madame ALLIOT-MARIE, quel est votre sentiment après ce premier contact ?

Jean-Pierre Ferret : J’ai rencontré un Garde des Sceaux attentif aux problèmes des professions relevant de son Ministère. J’ai longuement évoqué avec elle les sujets que nous venons d’aborder ensemble. J’ai eu le sentiment qu’elle entendait ne pas brusquer les choses et qu’elle voulait se faire sa propre opinion avant de prendre tel ou tel parti. Il est clair qu’elle comprend le rôle essentiel des notaires et la nécessité de ne pas porter atteinte à une institution qui fonctionne bien et apporte aux usagers et à l’Etat une qualité de service incontestable. Néanmoins il apparaît aussi qu’elle est contre l’immobilisme et que toute proposition mérite attention. En tout cas, j’ai également noté qu’elle ne prendrait pas de décision importante sans concertation. En résumé j’ai rencontré une femme conforme à son image : droite, attentive, réfléchie, mais aussi sans doute, ferme une fois sa conviction faite.

 

Notariat 2000 : Quel message souhaitez-vous faire passer à vos confrères ?

Jean-Pierre Ferret : Qu’ils soient de bons notaires ! Ils doivent rendre un service de qualité en expliquant mieux ce qu’ils font et ce qu’ils facturent. Il ne faut pas avoir peur de dire que nous sommes très souvent moins cher que l’avocat. Enfin, il faut profiter de cette période de crise, pour se lancer dans la DQN et développer d’autres secteurs d’activités. C’est à chacun de nous, en fonction de sa sensibilité personnelle, de sa situation géographique, de la configuration de son étude et de son personnel, qu’il revient de trouver des activités plus larges pour mieux rebondir…

 

1. A fin juin, 98 offices en difficultés ont sollicité un prêt conjoncturel