“Encourager l’ouverture du notariat en permettant à tout diplômé notaire de demander la création d’un office notarial dans la mesure où il se propose d’exercer au sein d’une structure interprofessionnelle”. Voilà une des petites recommandations du Rapport Darrois lourde de conséquences sur notre statut…
Ceux qui ont consulté le blog de la Commission Darrois l’avaient pressenti : une bonne partie des messages consistait en des affrontements stériles entre des diplômés notaires reprochant à la profession de ne pas leur permettre de s’installer et des notaires installés tentant de leur démontrer le contraire. Il serait toutefois réducteur de réduire cette recommandation à la conséquence des récriminations de quelques-uns. Ne serait-elle pas plutôt la (première) sanction d’une mauvaise évolution de notre profession ?
Notaire demain ?
Il semble logique que les étudiants préparant, après 7 années d’études supérieures, un Diplôme Supérieur du Notariat, envisagent d’être nommés au plus tôt notaires. Pourtant, beaucoup restent “Cadre collaborateur”. Ils ont pour récompense un titre ronflant “notaire assistant” alors que la réalité du terrain est plutôt “assistant notaire”. Pire, en ces temps de crise, ce sont eux que l’on « purge », que l’on n’embauche plus. Certes, nous avons relevé le niveau de compétences de nos collaborateurs, nous avons compensé la disparition des clercs d’expérience, mais nous avons aussi fabriqué les déçus de demain. Notaire n’est pas un niveau de compétence, mais la nomination d’un individu par l’Etat à l’exercice d’une mission de service public. Conserver une distinction claire entre diplômes et fonction serait peut-être plus sain. Par exemple en recentrant les diplômes sur le coté technique et “cadre d’entreprise” (refonte du diplôme de 1er clerc, qui serait couplé avec une maîtrise de droit, et mieux rémunéré). Et en permettant la nomination à la fonction de notaire à des “cadres d’entreprise” justifiant d’une expérience certaine en cette qualité (5 ans minimum), quitte à ce que le postulant effectue alors un “stage” le préparant à sa fonction. En résumé, un cadre ayant diplômes et expérience pourrait postuler, mais personne ne ferait des études spécifiques l’amenant directement à la postulation.
Notaire salarié
En créant la fonction de notaire salarié, il a été porté un coup dangereux à la théorie d’officier Public. Comment un officier Public pourrait-il être nommé par l’Etat pour exercer la puissance publique, et être interrompu dans cet exercice par son employeur privé (licenciement) ? Si la doctrine légitime la délégation matérielle d’exercice sous la responsabilité directe du mandant (clercs habilités), l’exercice direct de la puissance publique par un employé d’une entreprise privée n’est justifié que par le décret qui l’a engendré. Un des arguments de la Commission Européenne pour réintégrer le notariat dans la directive Services est que les exceptions “service public-autorité” doivent être exercées directement par l’Etat. Nous brandissons alors le bouclier : Officier public sous l’autorité directe de l’Etat, mais ce bouclier est irrémédiablement ébréché par la définition même de notaire salarié. L’idée de permettre à des diplômés d’exercer sans avoir le poids de l’entreprise sur les épaules était généreuse. Vouloir aujourd’hui augmenter, à marche forcée, les effectifs de notaires salariés pour augmenter le nombre de notaires sans dommages collatéraux (c’est-à-dire sans pour autant partager les bénéfices, le capital, ni augmenter le nombre de sites d’exercice concurrents) ne fera que révéler les faiblesses théoriques de cette construction déjà chancelante (cotisations, responsabilité, licenciements, etc.). D’autres solutions plus courageuses existent pour faciliter l’installation des jeunes (association en industrie, limitation des prix, etc.).
Invention de site
Le notariat est conscient qu’il reste peu de bassins permettant la création ex-nihilo d’offices économiquement viables et il s’oppose donc légitimement à l’invention de sites pure et simple. La recommandation Darrois repose toutefois sur une certaine logique : une entreprise ne faisant pas que du notariat pourra espérer, par la péréquation entre les revenus de ses nombreuses prestations (sic !), arriver à un équilibre économique là où le service public notarial seul ne l’aurait pas permis. Il est dommage que cette recommandation ne soit opposée qu’à un grand vide notarial, car nous avions, en interne, la même réponse possible pour démultiplier les sites d’exercice : promouvoir les sociétés d’exercice notarial multi-offices (étant bien évident que le nombre d’offices de chaque société ne pourrait être supérieur au nombre de notaires qui y sont associés), tant par la modification du statut des SCP (cf. travaux de l’assemblée de liaison 2008) que celui des SEL. Cela permettrait de créer des offices supplémentaires, exploités par des sociétés ayant déjà déontologie, structure et taille optimale et ayant accessoirement besoin de nouveaux notaires. Nous éviterions ainsi la création de sociétés interprofessionnelles possédant un “service notaires” permettant à d’autres professionnels l’exercice indirect d’une activité règlementée…