Un jeu, particulièrement pervers, a pris son essor aux Etats-Unis et s’est développé dans le cadre d’un système bancaire assez obscur (1) échappant aux réglementations des banques de dépôts. Il a abouti au krach d’octobre 2008. Responsables de 1 000 milliards de pertes, les grands patrons de ces banques ont malgré tout encaissé 100 milliards de revenus en 3 ans. Pile-je gagne, face tu perds !
Depuis une dizaine d’années, c’est la passion des grands financiers. Ce jeu se déroule entre quatre participants : • les banques commerciales qui octroient les prêts, • les banques d’affaires qui en transfèrent le risque et en assurent la diffusion, • les agences de notation qui attribuent une note à cette transformation • les rehausseurs de crédit qui en garantissent les remboursements.
Les cartes sont des « produits de titrisation » souvent très sophistiqués qui permettent de transformer un ensemble de prêts bancaires à long ou moyen terme en des titres négociables à tout moment sur les marchés financiers. Parce qu’il rapporte plus que les bons du Trésor et permet d’échapper aux ratios de solvabilités imposés par la réglementation, banquiers et gérants de fonds se sont rué vers ce jeu séduisant. Déroulement du jeu Le jeu consiste : • pour les banques commerciales à augmenter leurs recettes en multipliant les prêts, quelle que soit la solvabilité des emprunteurs. • pour les banques d’investissement à créer de nouveaux produits d’investissement (2) qui minimisent les risques de défaut. • pour les rehausseurs de crédit à accorder leur garantie (3) à ces produits en se fiant à la note décernée par les agences de notation, ces dernières tirant profit de la qualité de leurs analyses et de leurs conseils dans l’élaboration des produits de titrisation.
Fin de partie
Le retournement du marché immobilier et la crise des subprimes (4) de l’été 2007 ont changé la donne. Ce sont d’abord les crédits hypothécaires non-garantis qui ont causé la perte de certaines banques commerciales. Début 2008, on s’aperçoit que bien des joueurs participant au « grand jeu de la titrisation », trichent. Les notes décernées sont trop élevées, les sociétés de rehaussement de crédit peuvent être mises en faillite et ne plus rien garantir. Enfin, certains titres dont la fabrication était sous-traitée à des intermédiaires, se révèlent particulièrement toxiques. Il en résulte une méfiance généralisée entre les joueurs, le blocage des échanges interbancaires, les reventes massives d’actions pour faire face aux échéances ainsi que, par contagion, l’écroulement du marché financier et la fin du crédit facile sur lequel était basée en partie la prospérité américaine.
Adieu morale !
Néanmoins, les banques ont pu préserver leurs gains grâce à Harry Paulson, patron du Trésor américain. Cet ancien président de Goldman Sachs (banque phare du système américain) en a aussi profité pour faire plonger son concurrent le plus dangereux, Lehman Brothers. Un bien vilain geste ! Parallèlement, comme l’annoncent les résultats de cette nouvelle enquête, les conséquences dramatiques de cette crise, qui s’est étendue au monde entier, commencent sérieusement à se faire sentir en France où l’activité ne devrait reprendre que lorsque les prix auront retrouvé leur niveau de 2005.
Tendance concernant l’activité
La crise financière survenue cet automne a fortement perturbé les quelques espoirs de reprise ou de stabilité anticipées lors de notre précédente enquête par la moitié de notre panel. Parmi les négociateurs déstabilisés par la chute des valeurs, 20 % pensent que la situation ne peut empirer. Dans le Loiret, chez Me Guy Canault, on observe « beaucoup plus de ventes de particulier à particulier et une baisse des compromis d’agence ». À Grenoble, Me Didier Leclercq nous confie que « les signatures sont moins importantes » mais que « le volume des mandats de vente explose ». Il note cependant un « léger frémissement des appels sur début novembre ». Il suffirait donc que les acquéreurs considèrent que les prix aient retrouvé un niveau correct pour que les affaires reprennent.
Tendance concernant les prix
À quel niveau doivent se situer les prix ? Pour le moment, une large majorité des notaires interrogés juge les prix trop élevés et mise sur une baisse dans les deux mois qui viennent. Dans le logement, plusieurs estiment qu’une baisse de 15 % à 20 % des prix est nécessaire pour que le marché redémarre. Ainsi, Me Emmanuel Paquet dans l’Aisne considère que « la baisse des prix peut aller jusqu’à 20 % en cas de besoin de vente urgente ». De leur côté, les acquéreurs savent que le prix des logements a augmenté, en moyenne, de 25 % entre 2005 et 2007 tandis que leur pouvoir d’achat n’a évolué que très faiblement (1,9 % par an suivant l’Insee). Concernant les terrains, les nouvelles ne sont guère plus optimistes. Me Emmanuel Ronzier, en Eure et Loire, note laconiquement « l’effondrement brutal du marché des terrains à bâtir ». Enfin, la crise économique touchant aussi le secteur des services, la tendance baissière s’accentue au niveau des commerces.
Le conseil des notaires
La question posée lors de chaque enquête est : « Que conseiller à un particulier qui dispose d’un bien à la revente lui permettant d’en acquérir un nouveau : vendre avant d’acheter, l’inverse, ou attendre ? ». La logique voudrait qu’en situation de baisse des prix, ce soit la première solution qui prévale. Or, les réponses de notre panel sont réparties d’une manière très équilibrée entre ces trois propositions. En fait, devant une offre surabondante, le négociant cherche prioritairement à réduire son stock d’annonces ce qui peut l’amener à privilégier d’abord l’achat plutôt que la revente. Cela implique la mise en place d’un crédit relais. Ce type de crédit est bien souvent refusé par les banques car elles sont convaincues que la principale difficulté dans la transaction est actuellement, pour le revendeur, de consentir un rabais de 20% à 30% sur une estimation souvent très optimiste de la valeur de son bien. Il faut de plus avoir à l’esprit que, même lorsqu’elles ne sont pas optimistes, les estimations se font par comparaison. Or, la connaissance du prix réel des transactions a lieu avec la publication des actes notariés, publication qui intervient parfois près d’un an après la réalisation du compromis. Pendant ce laps de temps, les prix peuvent avoir sensiblement diminué.
NDLR : cette enquête s’appuie sur les mois de septembre-octobre. Elle a été rédigée le 15 novembre 2008.
1. Avant la crise, les banques d’affaires appartenant à ce Shadow Banking System pesaient aux Etats-Unis autant que les banques classiques. Soit environ 10 000 milliards de $. 2. Pendant plus de 10 ans, par le jeu de la titrisation, elles vont regrouper puis découper en tranche, avant même échéance, la moitié des 15 000 milliards de $ de prêts hypothécaires accordés par leurs consoeurs commerciales et les mettre sur les marchés financiers. 3. Fin 2007, les sociétés de rehaussement de crédit assuraient des actifs financiers pour environ 2 400 milliards de $. 4. Cf. « La Maladie du crédit fou », N2000 n°487, octobre 2007.