Cela faisait 4 ans que le Syndicat national des notaires (SNN) n’avait pas organisé de congrès. Pour son retour sur le devant de la scène, il s’est interrogé, du 19 au 23 septembre dernier, sur la gouvernance de la profession. Philippe Glaudet, notaire à Angoulême, était au gouvernail de cette 51e édition. Mais le cap a-t-il été tenu ?

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Tout a commencé le 19 septembre à Marseille avec le mistral. Ce jour-là, les vents étaient contraires, rendant délicat l’embarquement de la petite centaine de congressistes inscrits au 51e congrès du Syndicat. De quoi retarder un peu la séance d’ouverture, mais pas assez pour ébranler la certitude que nous aurions, dès le lendemain, de vivifiants débats. Certes, la tâche n’était pas aisée. « Le sujet s’est révélé être plus ardu que nous l’imaginions » avait préalablement confié le rapporteur général Christian Courivaud (notaire à Saint-Junien). Mais, n’était-il pas naturel pour un syndicat, « désormais seul syndicat représentatif », de poser la question de la gouvernance de la profession ? Un proverbe africain ne dit-il pas qu’il « faut souvent un fou pour instruire un prince » comme le rappelait le président Glaudet dans son introduction générale ?
Pour faire la part belle aux idées et inciter la salle à participer, l’équipe avait choisi d’articuler ses travaux sous forme de « débats » : le centralisme démocratique, la Chambre de Paris, la justice ordinale, les délégués au CSN (avec le témoignage de Thierry Blanchet, notaire à Paris), le poids de l’administration dans les structures, les femmes et le pouvoir, l’assemblée de liaison… Certains thèmes, formulés sous un jour volontairement provocateur laissaient augurer quelques belles joutes. Ce fut le cas à certains moments, notamment lors de l’échange, sans langue de bois, sur « l’importance réelle ou supposée de la Chambre de Paris » au cours duquel Catherine Carely et Cédric Blanchet ont été assaillis de questions. Chaque débat s’apparentait à une discussion sans retenue où chacun pouvait dire tout et son contraire, sans que l’équipe formule des propositions (même si le président Glaudet a promis d’en rédiger après coup !) et prenne clairement position. L’intention était louable, mais était-ce suffisant dans le cadre d’un congrès ? Plus d’implication de la part de l’équipe, peut-être aussi un peu plus de cohésion et de réflexion, nous auraient sans doute éviter d’avoir le sentiment de naviguer sans boussole, au risque parfois de perdre le cap… Car, finalement, que sommes-nous allés faire dans cette galère (pardon, dans cette croisière Costa) ? En s’interrogeant sur le pouvoir notarial, le SNN a fait tomber un tabou. Et c’est déjà pas mal… Mais s’inquiéter de l’exercice du pouvoir pour le faire servir à la dynamique de la profession et à la satisfaction de la clientèle, n’aurait-il pas été mieux ? Ne serait-ce pas le prochain tabou auquel s’attaquer ? Notre petit doigt nous dit que l’Assemblée de Liaison va s’en emparer en 2014…

Echos de congrès

À notre tour, sacrifions à ces vertus du discours pour relater en quelques mots le ressenti qui se dégage du 51e congrès du SNN…

Ça a la couleur d’un Parlement…
Mais ce n’est pas un Parlement… Qu’est-ce que l’Assemblée de liaison ? Comment fonctionne-t-elle ? Faut-il l’apparenter à « un micro-trottoir  réuni en conclave » (Michel Burgan) ?
Premier constat : l’Assemblée de liaison souffre d’un déficit de communication (« certains notaires ne savent pas à quoi elle sert »). Le notaire « de base » ignore souvent le devenir des propositions. Ne faudrait-il pas institutionnaliser un droit de parole aux AG, même si, aujourd’hui, rien ne l’interdit ? Autre constat : il y a peu de volontaires ; certains délégués sont « désignés » et « peu motivés ». « Les jeunes générations sont moins motivées pour prendre part à l’effort commun ». Enfin, l’Assemblée de liaison dépend économiquement du CSN. S’il est incontestable que la parole dans la salle est libre, quid du reste ? Une indépendance budgétaire donnerait la certitude que la parole de l’Assemblée de liaison n’a pas été achetée et qu’elle est indépendante. Elle assurerait sa pérennité.

Centralisme démocratique
Dès le début du congrès, chacun y est allé de son hypothèse, dans un style Bakounine, Trotsky ou Staline, au choix. Rien de bien démocratique, en somme. Le centralisme démocratique, ne serait-ce pas finalement l’art de faire oublier les ordres à ceux qui doivent y obéir ? Bref, c’est la propagande. Et comment faire échapper le notariat à ses déviances ? Comment garder l’unité de la profession sans tomber dans l’uniformité ? Mystère… Ah si : il y a les mouvements volontaires ! Des contre-pouvoirs (pas forcément contre le pouvoir) mais à côté de lui, à côté du CSN pour lui prodiguer les idées nouvelles qui lui manquent.

Contre-pouvoir, tout contre ?
Un mot d’ordre s’est vite imposé : « pas question de casser l’unité, mais il est important de refuser l’uniformité et de faire exister la pluralité ». On marche sur des œufs : la nuance est subtile. Les contre-pouvoirs ne doivent pas être « contre le CSN ». Mais ont-ils une influence sur la gouvernance ? Le Syndicat national est un « autre pouvoir », il est, à la fois, « un collecteur d’infos et un filtre ». Il est utile au CSN. Les structures volontaires font émerger des idées (Université du Notariat, rencontres de Maillot…), même si on peut regretter la mainmise du CSN qui s’en est réapproprié beaucoup. « L’élection du président du MJN dépend de l’accord du CSN sous peine de sanctions financières » a témoigné un congressiste. Questions : pourquoi ne pas ouvrir un forum des structures volontaires sur le réseau REAL ? Pourquoi ne pas mettre en place les Etats généraux des structures volontaires ?

La femme est un Homme comme les autres
Pour ceux qui n’en auraient jamais rencontré au CSN, rappelons que les femmes sont des « êtres bizarres » qu’on peut définir comme étant des Hommes, égaux aux hommes, équivalents aux hommes, et qui vont finir par supplanter les hommes… Allons bon ! Philippe Glaudet, dans un courage intrépide, fit voter à main levée l’idée d’instaurer un quota de femmes dans les instances. Tous les participants eurent le courage de s’exprimer… Résultat : pas de quota ! Et ce à la quasi-unanimité d’une soixantaine de suffrages, même si, pour certains comme Elisabeth Couturon (Egletons), « le quota pourrait amorcer un système et être un starter ».

Jeu de pouvoir(s)
Mais au fait, qui détient le pouvoir dans la profession ? le CSN ? Son président ? Les permanents ? Les satellites ? Les financiers ? Finalement, nul ne sait… Le Comité des sages, peut-être ? Mais chut, il ne faut pas en parler, même au Syndicat ! Tout cela est bien nébuleux. Mais dans ce flou, on peut voir une chance pour la démocratie notariale. Eh oui, le problème de la gouvernance, ce sont les gouvernés. Et si chaque notaire, chaque Chambre, chaque délégué, chaque Conseil régional prenait en main sa part de démocratie, on ferait un grand pas en avant ! Didier Coiffard, lui-même, a vu cela positivement. Alors, prêts ?
Et jeu de rumeurs…
La Chambre des notaires de Paris a-t-elle une importance réelle ou supposée ? Eh bien non, nous dit-on ; la Chambre des notaires de Paris n’a aucune importance ! C’est juste la plus grosse (250 offices) et c’est la seule entité du notariat à profiter d’un quota (non écrit) en matière de présidence du CSN : 1/3. Certains ont crié au scandale, vu qu’elle a déjà le pouvoir financier que lui donne la manne de ses cotisations ! Mais non, se récrient les démocrates : s’il n’existait pas un tel quota, 100 % des présidents du CSN seraient de Paris parce que c’est un vivier de talents… D’ailleurs, comme l’a souligné un notaire de province qui a déploré « l’action stéréotypée de certaines compagnies » : « Paris devrait être un exemple pour tous ». Et pan sur le bec !

Justice ordinale
Si l’on devait retenir une manifestation tangible du pouvoir notarial, ce serait la justice ordinale : la sanction décidée par une instance. Faut-il supprimer la justice ordinale et s’en remettre à celle des tribunaux civils ? Même sans consultation démocratique, on sent que la réponse sera non. Encore faudrait-il nettoyer la procédure des juridictions professionnelles pour la rendre compatible avec les principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’Homme. Sa délocalisation, dans certains cas, seraient une solution. Le CSN y serait favorable…

Rapport de synthèse

Roth-Coiffard
Didier Coiffard qui représentait le CSN, a repris les débats à son compte tout en rappelant que la gouvernance notariale a pour horizon l’unité de la profession. Il a joué le rôle de rapporteur de synthèse, maniant sens de l’écoute et ouverture d’esprit. Ledit rapport était censé revenir à Armand Roth, président honoraire du CSN. Mais plutôt qu’une synthèse des débats, il fit la synthèse de sa foi. Et voilà le notariat bâti comme une pyramide, où rien ne bouge et où tout va pour le mieux. C’est vrai, une pyramide, c’est beau… Mais, Maître Roth, une pyramide, c’est un tombeau !

Entendu sur le congrès…
– André Voide (Doubs) : « Avant de discuter gouvernance, il serait bon de s’intéresser aux gouvernés ».
– Christian Courivaud (rapp. général) :
– « Le CSN est tellement éclatant qu’il en devient parfois aveuglant ».
– « L’élection à la Chambre, c’est Buffalo Grill, tout est rodé… mais rien n’empêche de se présenter ».
– Un notaire anglais : « Nous sommes tous un peu gouvernés par notre clientèle ».
– Jean-Pierre Ferrandes (Paris) : « Paris est un mythe, nous sommes des hommes normaux ».

Valérie Ayala – Etienne Dubuisson – Didier Mathy