Entre la position de Jean-Claude Bigot, qui affirme que nous sommes tous (ou serons… ou devrions être) des chefs d’entreprise et celle d’Antoine Zéméa, qui le dénie aussi fortement, je maintiens mon opinion que nous sommes les deux à la fois. Tel le dieu Janus, nos deux visages ne regardent pas l’un le passé et l’autre l’avenir, mais l’interne et l’externe, ce que voient à la fois le notaire et le chef d’entreprise. Point de flagornerie dans mon propos, point de consensualisme stérile non plus.

 
Cette double vision nous amène à combattre sur deux fronts à la fois, et, en cette période préélectorale, je peux gager que la « lutte finale » n’est pas arrivée.

 

Agir pour convaincre

Sur le front « Notaire », nous devons lutter contre l’Europe, car si un cessez-le-feu semble pour l’instant respecté, nous devons veiller à la reprise de la lutte de nos adversaires et être prêts à gagner. « Si vis pacem para bellum ». La lutte actuelle se situerait plutôt au sein même de notre nation, entre un Devedjan et un Montebourg qui, tous deux, ont en commun d’être avocats et de vouloir « casser du notaire ». Notre combat se situe également face aux consommateurs du droit, nos propres concitoyens qui se montrent souvent véhéments contre le notariat dans son ensemble alors que peu d’entre nous le méritent vraiment. Ce sont des luttes de tous les jours pour nos instances professionnelles (à Paris ou à Bruxelles), nos organismes volontaires, Jeune Notariat, nos syndicats, la revue Notariat 2000, mais aussi pour chacun de nous dans nos études. Sans cesse, il nous faut agir, comme si nous devions convaincre nos clients des vertus et de l’efficacité de toute notre profession. Chaque pas en avant, aussi minime soit-il, est décisif. La DQN est un outil précieux, même si rien ne remplacera le contact privilégié que nous devons entretenir avec nos clients, en nous mettant à leur hauteur et en leur expliquant tout (fini le « faites-moi confiance, signez là »).

 

Défis

Sur le front « chef d’entreprise », nous devons lutter sans cesse pour garder nos performances et celles de nos collaborateurs. Cela veut dire : se former, « digérer » les réformes, les anticiper, voire les susciter dans nos congrès, améliorer la qualité du travail, accueillir des jeunes, les parrainer, participer à des forums « métiers », enseigner dans les écoles de notariat ou CFPN, faciliter les installations ou les associations (vaste projet s’il en est), communiquer pour notre belle profession, trouver des solutions innovantes (création du Notaire remplaçant par exemple)… Mais à force de lutter sur tous les fronts, ne finirons-nous pas par baisser les bras ? À l’heure où la suppression du monopole demeure une question (deviendrons-nous tous des avocats ?), je m’interroge : serons-nous tous un jour des fonctionnaires ?

 

Notaire fonctionnaire

J’entends déjà les critiques acerbes que cette idée va susciter. Un notaire fonctionnaire serait-il si différent ? Imaginons… On ne douterait pas de sa compétence. Sa responsabilité serait celle de tout représentant de l’État (sans payer des primes exorbitantes), il serait toujours détenteur de puissance publique. Nos salariés, également fonctionnaires, seraient « greffiers de notaires ». Ils seraient soumis à des grilles qui seraient sensiblement identiques à celles de notre convention collective. Les horaires ? Je vois déjà sur la porte de nos études : « Ouvert du lundi au jeudi de 9h à 12h et de 14h à 17h, le vendredi de 9h à 12h – Fermeture toute la journée le dernier vendredi de chaque mois »… À ce rythme, le retard dans nos dossiers ne manquerait pas de s’accumuler. Quand cela déborderait trop, d’autres notaires fonctionnaires seraient nommés. D’ou résorption du problème d’emploi des jeunes diplômés et de celui de l’accroissement du nombre de notaires. Exit les créations, commissions d’admission, CLON… Plus de concurrence non plus ! Adieu stress et pressions des clients. Notre temps de travail hebdomadaire serait de 35 heures (combien de notaires en font le double ?), nous aurions 7 à 9 semaines de congés par an, quelques RTT par ci, par là, et de nombreuses primes. Compte-tenu de notre niveau d’études, nous entrerions dans une catégorie assez élevée quant à notre traitement, et notre rémunération serait, pour la majorité d’entre nous, similaire à celle d’un magistrat. Or, si l’on tient compte de toutes nos charges fiscales, sociales et professionnelles, des investissements et du remboursement de nos prêts, si en plus on rajoute la différence entre la retraite d’un fonctionnaire et celle d’un notaire, on n’est pas loin du compte…

 

Je crains cependant que ce rêve ne tourne vite au cauchemar, celui d’un morne ennui, celui de perdre la satisfaction du travail bien fait, du conseil bien donné (ou bien vendu selon les cas), celui de s’encroûter dans la mollesse triste d’une vie sans surprise, sans enjeu, sans combat. Car finalement, tant que nous luttons, c’est que notre profession est encore bien vivante et que nous le sommes bien aussi, c’est que nos buts, nos idéaux le méritent encore.

 

Alors, Notaires de France et du monde entier, donnons-nous la main et agissons ensemble, c’est la lutte… Et espérons qu’elle ne sera jamais finale !