Être ou ne pas être spécialisé, telle est la question qui agite le notariat. L’impressionnante inflation des textes législatifs et les exigences toujours plus strictes des clients tendent à plaider en faveur des notaires spécialisés. Mais gare au chant des sirènes de la spécialisation…
Formé à l’extrême, le notaire spécialiste peut répondre efficacement aux clients – et donc bénéficier d’une forte réputation dans son domaine de prédilection – tout en se préservant d’un grand nombre d’actions en responsabilité. Ce raisonnement peut sembler cohérent… Pourtant, la spécialisation est avant tout l’expression des principales contradictions du notariat : tel un mirage, elle risque de faire perdre de vue aux notaires la particularité de leur statut tant convoité.
Généraliste avant tout !
Le notaire a l’image du conseiller impartial, du rédacteur d’acte, du magistrat de l’amiable. Ceci suppose inévitablement d’avoir une vue complète de l’ensemble des matières juridiques. Comment pouvoir conseiller au mieux, dans la même journée, un futur chef d’entreprise, une famille secouée par un deuil et un jeune couple sur le point de réaliser sa première acquisition, sans être par nature un généraliste ? D’ailleurs, ne soyons pas hypocrites : nous sommes les premiers à nous plaindre de la méconnaissance du grand public de l’extraordinaire étendue de nos attributions. Il me paraît difficile de vouloir bénéficier à la fois de l’image du généraliste et du confort du statut de spécialiste. De surcroît, l’un des principaux attraits de la profession – tout aspect financier mis de côté – reste incontestablement le plaisir intellectuel de pouvoir passer aisément d’un thème à l’autre. Sous couvert de pouvoir s’assurer contre toute contestation ou toute remise en cause de son savoir, le notaire spécialiste pourrait oublier le simple plaisir qu’il éprouve à exercer sa fonction de généraliste. La spécialisation ne doit pas tuer le plaisir d’être notaire. Et quelle tristesse d’entendre des confrères avouant ne plus faire de règlements de successions pour s’axer sur de beaux grands programmes immobiliers très rentables.
Collaborateurs spécialisés
La spécialisation concerne également les collaborateurs de l’étude. Quoi de plus naturel que de chercher à organiser son étude en services spécialisés ! Recruter de bons spécialistes économise les nerfs des employeurs et assure un bon rendement. Oui, mais… Les notaires ont une obligation de formation. Ceci résulte du règlement national. Enfermer un collaborateur dans un service – de mainlevées ? – est-il le meilleur moyen d’assurer un bon rendement ou de lui faire bénéficier d’une pratique professionnelle en rapport avec sa formation théorique ? Les études à services spécialisés font-elles réellement “tourner” les collaborateurs de service en service au gré de leur formation ? Nouvelle contradiction entre spécialisation et obligation de formation – généraliste par nature.
Dérives
La spécialisation peut conduire à des dérives : sélection des dossiers, refus d’instrumenter délicatement “maquillés”, choix d’une matière juridique jugée “juteuse”… De quoi nous faire oublier ce que sont les notaires : des officiers ministériels, délégataires d’une mission de service public, conseillers impartiaux et rédacteurs d’actes authentiques. Plutôt que de succomber aux charmes vénéneux de la spécialisation, ne vaudrait-il pas mieux augmenter le nombre de notaires associés ou de notaires individuels ? L’enjeu dépasse de loin nos frontières, mais ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons renforcer la perfection de nos actes, en sécuriser le contenu et assurer une réelle authenticité. Tout simplement, affronter efficacement l’avenir de notre profession.
Antoine Zemea Diplômé à la recherche d’une étude