Interview fictive du garde des Sceaux, à quelques jours du lever de rideau du congrès national et de son incontournable grande messe du lundi matin…

 

Notariat 2000 : Quelle vision avez-vous du notariat ?

Le garde des Sceaux : Elle est mitigée… Beaucoup de notaires, y compris au sein des élus, ont la volonté de faire bouger les choses. Ils ont pris conscience de la nécessité impérieuse de sortir du XIXe siècle et font tout ce qu’ils peuvent en ce sens. Sur le plan des technologies, vous avez été la première profession à vous informatiser et Télé@cte est la preuve de votre maîtrise en ce domaine. Mais des progrès restent à faire sur le plan des mentalités. J’ai l’impression que bon nombre d’entre vous restent campés dans un immobilisme dangereux, un peu comme si leur devise était « Pourquoi faire autrement du moment qu’on a toujours fait comme ça… « . Par exemple, les solutions mises en place par votre PNF (Projet des Notaires de France) ont du mal à réunir une adhésion unanime. C’est dommage, même si toutes ne sont pas forcément faciles à appliquer. Et puis, bon nombre d’archaïsmes subsistent dans votre profession. Il suffit d’en prendre pour preuve les procédures de nomination (NDLR : silence songeur du garde des Sceaux)… même si j’admets que mes services y sont peut-être aussi un peu pour quelque chose.

 

Notariat 2000 : Qu’est-ce que, pour vous, « un bon notaire » ?

Le garde des Sceaux : Oh la ! C’est une question compliquée ! Je dirais qu’un bon notaire est une personne qui possède une solide formation juridique et pratique. C’est aussi un professionnel doté d’une grande humanité, d’empathie et animé d’un désir permanent de comprendre, puis de satisfaire le justiciable. De ce côté-là, beaucoup de vos confrères devraient faire de gros progrès… Mais un bon notaire doit aussi être un bon manager, et là, votre profession est très loin d’atteindre l’objectif ! À ce propos, j’ai lu dans l’une de vos récentes enquêtes que certains d’entre vous « dirigeaient » leur équipe sans avoir suivi la moindre formation en matière de management. Cela tient, à mon sens, du miracle ! Je n’arrive pas à comprendre que la gestion d’une étude, avec tout ce que cela comporte comme charges, comme obligations et comme risques, ne soit pas mieux enseignée ?!

 

Notariat 2000 : Le Président de la République était, il y a quelque temps, très favorable à une grande profession du droit. Quel est votre point de vue sur le sujet ?

Le garde des Sceaux : J’ai suivi de très près les différentes étapes de ce processus voulu par notre Président. Les rapports Attali et Darrois, les tractations entre le barreau, le notariat et la Chancellerie… Il est indéniable que les professions de notaire et d’avocat évoluent dans une sphère commune. Des interférences sont inévitables ; il est bon de les régler clairement si l’on veut éviter les frictions ou les chocs. Les rôles de chacun me semblaient assez clairs auparavant, mais la loi sur la modernisation des professions juridiques et judiciaires a au moins eu le mérite de fixer les choses de façon plus que précise. Je sais que bon nombre d’entre vous n’apprécient pas la création de l’acte contresigné par avocat, mais nous n’avions pas vraiment le choix. D’une part, le lobbying des grands cabinets parisiens était très puissant et surtout, d’autre part, il fallait donner quelque chose aux avocats pour qu’ils cessent leurs tentatives de s’approprier une part de votre marché. Il reste tout de même à espérer que les avocats ne joueront pas trop sur la confusion entre acte authentique et acte contresigné. Cependant, il est assez difficile de faire comprendre aux avocats l’utilité de l’acte authentique et la sécurité qu’il offre ; ce n’est pas dans leur culture. Les positions de Me Wickers à ce sujet me semblent d’ailleurs tout à fait déplacées et hors de propos. Je crains que la hache de guerre ait du mal à être enterrée ce qui ne facilitera pas une plus grande interprofessionnalité. Elle semblerait pourtant mieux adaptée aux enjeux de demain…

 

Notariat 2000 : Connaissez-vous la revue Notariat 2000 ?

Le garde des Sceaux : Oui, je la lis régulièrement en cachette car on m’a dit que votre revue dégageait parfois une odeur de soufre. J’aime son franc parler, si loin de la langue de bois en usage dans mon milieu. Une chose me surprend toutefois : pourquoi, avec autant d’idées, ne pas avoir encore créé une association des amis de Notariat 2000 ? Je comprends que, sur le plan individuel, les notaires hésitent à exprimer leurs opinions – le devoir de réserve ou je ne sais quelle crainte peut les en empêcher-, mais regroupés en association, ce serait une force formidable au service de la profession ! Ceci dit, je pense qu’à tout le moins, l’abonnement à votre revue devrait être obligatoire pour toutes les études de France. En ce qui me concerne, je suis tellement fan, que je projette, cet été, de faire un pèlerinage à Pompadour, là où plane encore l’esprit de Louis Reillier…