Du 6 au 10 octobre dernier, à Berlin, ils étaient près de 200 notaires et collaborateurs à s’interroger, dans le cadre du 41e Mouvement Jeune Notariat, sur les limites du respect de la vie privée. Un congrès coprésidé par Jacques Charlin et Hugues Baudère, dont le rapport et les travaux gagnent à ne pas rester confidentiels !
Yves Lotrous, Bruno Fleury, Madeleine Gruzon, Virginie Oudot-Feuvrier, Cédric Daugan, Anne-Sophie Brunier, Xavier Leclerc.
S’interroger sur le respect de la vie privée, dans le cadre d’un congrès notarial, (fut-ce celui du MJN), peut surprendre à première vue. Pourtant, il s’agit bien là d’une question d’actualité concernant directement la profession.
Séance d’ouverture
En effet, si « chacun a droit au respect de sa vie privée », internet, tracfin, mais aussi certains processus de l’authentification mettent en danger ce fragile équilibre… et revisitent parfois le rôle du notaire. Un état des lieux s’imposait. En trois commissions, l’équipe du Congrès, menée d’une main de maître par le tandem « Charlin-Baudère », a dessiné les limites de la vie privée dans le domaine de l’informatique et des NTIC, dans celui du droit des personnes et, enfin, celui des financements.
Informatique et NTIC : « Big Brother is watching you » ?
Sans respect du secret, pas de confiance, pas de confidences… et donc pas d’économie ! Pour Bruno Fleury, Madeleine Gruzon et Xavier Leclerc, le respect du secret professionnel commence d’abord dans l’office notarial. L’accès par tous les collaborateurs à tous les éléments de l’office est générateur de dangers de violation.
Bruno Fleury, Xavier Leclerc, Madeleine Gruzon.
Le MJN à l’écoute de la vie privéeContrairement à d’autres pays (Allemagne par exemple), les clercs de notaires et collaborateurs ne sont pas tenus à une obligation de secret professionnel, mais à un simple devoir de discrétion.
Ne faut-il pas changer la donne ? Les rapporteurs se sont ensuite demandés s’il ne fallait pas distinguer correspondances officielle et non-officielle, et à l’instar des avocats, partir du principe que tous les échanges professionnels entre confrères sont confidentiels. De même, des mentions relatives à la vie privée sont parfois indiquées dans les actes, sans être nécessaires à la sécurité juridique.
Enfin, ne faut-il pas s’interroger sur l’absence de confidentialité concernant la maintenance et le dépannage en ligne offert par les prestataires de logiciels informatiques (l’accès au réseau s’effectue à distance au profit d’un téléopérateur inconnu).
Quid du secret professionnel ? Pour Xavier Leclerc, correspondant Informatique et Libertés à travers l’ADSN, il est impératif que le notaire ne perde pas le contrôle du système informatique.
Il a rappelé à ce propos quelques « fondamentaux » à respecter dans le cadre de la loi « informatique et libertés » (mise en place d’une charte pour maîtriser les procédures, désignation d’un correspondant « informatique et libertés », etc.) et souligné les responsabilités qui pèsent sur les notaires avec la clé REAL.
Les personnes : chut, c’est privé !
C’est sous l’angle du droit des personnes qu’Anne-Sophie Brunier et Virginie Oudot-Feuvrier ont articulé leurs réflexions.
Virginie Oudot-Feuvrier, Anne-Sophie Brunier, Cédric Daugan, Bruno Fleury.
Quelles sont les limites de la sphère privée ? Par exemple, dans le cadre d’un Pacs, la mention du pacs et l’identité du partenaire sont portées en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire, ce qui donne la possibilité aux tiers de connaître l’orientation sexuelle du pacsé. Ne faut-il pas y voir une atteinte au respect de la vie privée ? De même, le droit est en pleine effervescence en matière de filiation.
Quel est le champ d’intervention du notaire dans les domaines de procréation médicalement assistée et de mères porteuses ? La législation ne doit-elle pas s’aligner sur celle des autres pays européens pour répondre aux attentes des clients ? Un décalage existe entre le droit et la pratique dans le domaine des dons d’organes (le notaire sera-t-il utilisé un jour dans le cadre du recueil de certains consentements ?), du testament de vie ou de l’euthanasie (déjà organisée dans certains pays tels que les Pays-Bas et la Suisse). Ne faut-il pas passer à la vitesse supérieure ?
Les financements : doit-on soupçonner tout le monde ?
En têtes d’affiche de cette 3e commission, conduite par Cédric Daugan, Bruno Fleury et Yves Lotrous, Tracfin… et l’article du Canard Enchaîné sur « le notaire petit rapporteur ». De quoi susciter des débats animés en présence de Ludovic Jariel, chef du bureau de la réglementation des professions libérales.
Celui-ci a d’ailleurs précisé que le notaire est tenu à une « obligation de vigilance » à l’égard des clients. Pour l’équipe du Congrès, comme pour Hugues Baudère et Jacques Charlin, déclaration de soupçon et obligation de vigilance ont le même goût amer.
Il est urgent de mener une réflexion sur le respect de la vie privée et du secret professionnel car la situation est explosive pour le notaire. Tout d’abord, elle est inégalitaire car les avocats ne sont pas soumis à l’obligation de déclarer des soupçons en matière de simple consultation juridique. Ensuite, elle menace la relation notaire-client. « Jamais les notaires n’accepteront de ficher leurs clients à la dérobée ! Il s’agit d’une question d’éthique essentielle ».
« C’est une dérive qui remet en cause les fondements mêmes de notre profession ». « Nous sommes passés à une relation de confiance notaire-État à une relation de défiance » a répondu la salle. Reste à savoir si ce « sursaut solidaire » sera suivi d’effets du côté de la Chancellerie ou restera lettre morte ?