Si je vous dis « au commencement était le verbe », que comprenez-vous ? Pas d’analyse des saintes écritures, ni même de raisonnement philosophique profond… Il s’agit simplement de rappeler que les mots ont une prééminence naturelle sur les chiffres. Un chiffre, en soi, ne dit rien, mais les mots peuvent lui faire tout dire. Alors, prenez garde aux mots !
Certains accusent les notaires de négliger l’expression jusque dans la rédaction de leur acte. Il serait difficile de les contredire, mais il y a plus grave ! Plus le temps passe, plus les manœuvres de nos adversaires se dévoilent, plus il me semble évident que nous n’avons pas toujours su trouver les mots justes face à nos concurrents. Et si nos maux venaient… des mots ? Nous avons tout misé sur le slogan « Le notaire, c’est l’acte authentique », mais était-il bien adapté à l’objectif poursuivi ? N’avez-vous pas l’impression que l’acharnement des avocats à vouloir créer un « acte d’avocat » résulte essentiellement de cette confusion notaire-acte ? Ne trouvez-vous pas déplaisant d’être réduit à un simple document papier ? L’acte authentique n’est finalement rien d’autre qu’un vulgaire sous-produit… Curieusement, ses plus âpres défenseurs en trahissent souvent l’esprit : notaires d’agences, notaires de banques, ou notaires « public-relation » laissant à des clercs habilités la tâche « ingrate » de recevoir le précieux document… La phrase que nous aurions dû mettre en exergue n’aurait-elle pas dû être l’inverse : « l’acte authentique, c’est le notaire » ? (1) Le sens en aurait été tout à fait différent, l’acte retrouvant sa place de sous-produit (certes authentique, mais pas en soi ! ) L’authenticité n’est-elle pas, en effet, l’aboutissement d’une démarche intégrant un conseil responsable, donné par un professionnel authentifié, celui-ci signant et s’engageant aux côtés des parties. Il leur assure notamment la garantie de l’équilibre…
« Electroniqués »
Je m’interroge. En dématérialisant la publicité foncière et l’acte lui-même, ne pourrions-nous pas être « électroniqués »… Je n’entrerai pas dans les détails, de crainte de donner des idées à des lecteurs indésirables, mais n’oubliez pas qu’il n’y a pas si longtemps l’un de nos « chers » fournisseurs tentait de faire valider par les autorités son « usine à actes presse boutons » pour vente au « grand public ». Cette simple anecdote démontre que tout ce qu’on nous « survend » n’est pas forcément assurance de lendemains qui chantent. Il nous faut prendre garde aux mots… Ceux que nous prononçons, comme ceux que nous entendons. Le triomphalisme affiché par certains après la remise du rapport Darrois pourrait bien être le résultat d’une mauvaise lecture… Pas de fusion ? La belle affaire ! A quoi bon fusionner avec « les morts » ? La crise actuelle démontre notre fragilité, une simple pichenette ne pourrait-elle suffire à nous mettre à bas ? Mieux que nous, les avocats ont conscience de la subtilité des mots… Et le poids des mots sert souvent le choc des « faux taux » ! On utilise ainsi nos propres données à notre encontre : taux de rejets pointés du doigt sans analyse, taux de « sinistrabilité » (présentation négative) et taux de réussite, moyenne de chiffre d’affaire (impressionnante) et de rémunération… Les mots se servent, les chiffres nous desservent… Un esprit commun
À trop nous taire d’une seule voix, nous sommes devenus invisibles dans ce monde de faux semblants et d’illusions. Pourtant, si nous sommes unanimes sur un point, c’est précisément celui qu’on nous a demandé de passer sous silence : il n’y a pas et il n’y a jamais eu UN notariat, mais une multitude de notariats participant tous d’un esprit commun dont l’acte authentique est l’expression finale. L’avenir du notariat ne résultera pas de son uniformisation ou son automatisation, pas plus que d’une standardisation. Seule l’addition de nos différences pourrait multiplier notre potentiel. Addition, multiplication… Décidément, il est difficile d’échapper à la tyrannie mathématique !
1. Quand bien même cette formulation nous mettrait en porte à faux avec les Maires et les Préfets, l’authenticité de l’acte administratif n’est pas située sur le même plan, pas plus que l’ « acte judiciaire » cher à certains de nos détracteurs.