Si le notaire a toujours fait partie du paysage juridique et surtout social du Québec, sa force s’est estompée au fil des ans. Cela a conduit la profession notariale québécoise à se remettre en cause. Un plan d’action visant à repositionner le notariat et à assurer sa survie a été mis en place par la Chambre des notaires. Le regroupement des notaires et la fusion des études, la spécialisation, la création d’études multidisciplinaires, mais aussi les modes alternatifs de résolutions des conflits sont les principaux axes d’action. La québécoise Danielle Beausoleil (1), notaire associée d’une étude à Montréal, a répondu pour Notariat 2000 aux questions d’Yvon Rose (Rhône)…

 

Notariat 2000 : L’une des voies d’avenir du notariat québécois passe par le regroupement des notaires et la fusion des études. Comment l’expliquez-vous ?

Danielle Beausoleil : 50 % des revenus proviennent de l’immobilier, un changement de cap s’impose. Les notaires sont quasiment absents du droit des affaires (seulement 15 % de leurs revenus), alors que c’est le champ de pratique le plus lucratif au Québec. Les notaires se doivent de diversifier leurs sources de revenus s’ils veulent survivre. Outre la concurrence de l’assurance de titres dans le droit immobilier et les prêts, la Chambre des notaires du Québec voit d’un très mauvais œil l’informatisation des transactions immobilières résidentielles. Selon elle, ce phénomène pourrait entraîner, à moyenne échéance, une diminution globale d’au moins 30 %, voire 50 % des revenus des notaires. Afin de contrer cette tendance, la Chambre a mis sur pied, à l’aube de l’an 2000, un plan d’action stratégique.

 

Notariat 2000 : Quelles ont été les propositions faites par la Chambre du Québec ?

Danielle Beausoleil : Les solutions du Comité d’études ont été sans équivoque. Il faut consolider les pratiques en favorisant la spécialisation des notaires dans différents secteurs du droit, mais aussi la fusion et le regroupement des études notariales. Le regroupement est favorisé par une aide financière et logistique aux notaires, par la mise en place de cours de perfectionnement et l’octroi de bourses universitaires pour les aider à parfaire leurs connaissances.

 

Notariat 2000 : Quid de la spécialisation ?

Danielle Beausoleil : Elle s’applique à tous les secteurs juridiques. Il est désormais presque impossible de « courir plus d’un lièvre à la fois ». La spécialisation est incontournable, y compris dans les domaines traditionnels. Je pense d’abord au domaine de l’immobilier : le vieillissement de la population a entraîné l’apparition de nouveaux modes de détention d’immeubles en copropriété novatrice. On pourrait prendre d’autres exemples, comme chez vous, dans le domaine du droit de la famille : le divorce et les familles recomposées ont énormément changé la donne. Testament et contrat de mariage deviennent des outils de gestion de patrimoine nécessitant un juriste hautement qualifié.

 

Notariat 2000 : Et hors domaines traditionnels ?

Danielle Beausoleil : La force du notaire en droit des affaires est connue des entreprises qui favorisent de plus en plus une approche non litigieuse pour négocier leurs ententes commerciales et régler leurs différends. Les bureaux d’avocats ont beaucoup capitalisé sur leur réactivité en étant regroupés en cabinets importants. On comprend immédiatement que le notaire indépendant part avec un lourd handicap. La survie à long terme de la profession doit donc passer par des étapes l’intégrant dans le monde des affaires.

 

Notariat 2000 : Y a-t-il eu pour cela des adaptations de structures d’exercice ?

Danielle Beausoleil : La récente réglementation autorisant l’exercice de la profession de notaire en « multidisciplinarité » au sein de sociétés à responsabilité limitée, en est une belle illustration ! La possibilité octroyée aux professionnels d’unir leur savoir ne devrait pas être perçue comme une perte d’identité de chaque entité. C’est au contraire une opportunité de complémentarité entre différentes branches connexes. Je pense notamment aux comptables ou aux fiscalistes. Le notaire doit offrir « la fine pointe » et la qualité à notre clientèle, de plus en plus exigeante et diversifiée.

 

Notariat 2000 : Le notariat québécois a-t-il d’autres champs de développements ?

Danielle Beausoleil : La médiation civile et commerciale est une avenue nouvelle au Québec. C’est un créneau « fait sur mesure » pour les notaires ! Ils devront toutefois revendiquer haut et fort la place qui leur revient car, pour l’instant, ce sont les avocats qui l’occupent largement…

 

Notariat 2000 : En conclusion, que diriez-vous ?

Danielle Beausoleil : Les notaires doivent changer leur mentalité et la profession faire un changement drastique de cap ! Le notaire peut se développer dans toutes les branches du droit non contentieux. Pour les Québécois, « mieux vaut prévenir que guérir » ! Ce beau slogan s’adapte à tous les notariats. Le regroupement et la spécialisation sont les outils pour que le notariat refasse surface. Mais cela nécessite aussi une mobilisation collective !

 

1. Danielle Beausoleil est notaire associée de Prud’Homme Fontaine Dolan s.e.n.c.r.l., à Boucherville, Québec. Lire son intervention dans le Rapport du 38e congrès du MJN-San Francisco, « Droit et économie », « Le notaire du Québec : juriste de l’ère moderne », p. 258 et suivantes.