« Notaires ou petits rapporteurs ? » Dans un article publié le 15 septembre dernier, Le Canard enchaîné lance l’anathème et va jusqu’à programmer la disparition prochaine du notariat… grâce à TRACFIN !
Tout d’abord, rappelons les principaux morceaux choisis de l’article du Canard enchaîné : « Vous vous méfiez des notaires ? Ils se méfient de vous », « Transformer les notaires en indics ? Oui, mais sans éveiller les soupçons (…) afin que le client n’ait pas l’impression de subir un interrogatoire », « Trahir la confiance des clients pour formaliser la délation ». Et de poursuivre : « Quand les citoyens auront bien compris cela, les jours des notaires seront comptés ! La création de l’acte d’avocat n’est, bien entendu, que la première étape de ce processus inéluctable qui ne peut que s’accélérer ».
Passons maintenant à la forme : il s’agit ici de flatter l’instinct de suspicion des Français. En prétendant le dénoncer, l’article survole le sujet sans l’avoir vraiment étudié et manie l’excès habituel des marchands d’oracle. Rien donc qui puisse nous surprendre. Il n’en demeure pas moins que le pouvoir de nuisance de ce papier est bien réel.
Dualité du statut
Pour les notaires, TRACFIN pose une seule question claire. Entre deux principes supérieurs, mais aboutissant à deux intérêts contraires, que doit-on choisir ? D’un côté, le blanchiment d’argent avec son dramatique cortège d’asservissement des hommes et des femmes aux intérêts mafieux déviants, voire terroristes, que l’État a le devoir de combattre par tous les moyens mis à sa disposition. De l’autre, le secret professionnel du notaire, personnel et absolu. Dans cette alternative difficile, avons-nous le choix à l’égard de notre statut et de notre conscience ? Le statut place le notaire sous tutelle de l’État, via la Chancellerie et ses Parquets. Il est en même temps au service de tous les citoyens ; nous devons les assister de nos conseils et de nos actes. En un mot de notre ministère. Dualité qui constitue à la fois notre force, notre grandeur et notre faiblesse, mais que nous devons assumer ! Nul ne peut prétendre que le notaire bafoue le secret de ses clients. Quelques rares arrêts de jurisprudence témoignent du sacrifice du notaire qui refuse de témoigner en justice alors qu’il en est parfois juridiquement requis, notamment au pénal. Seule la conscience personnelle est en cause et doit être respectée, bien loin des outrageuses allégations du Canard ! Citons, dans ce domaine sensible, la hauteur de vue du Président Lefebvre, de la Chambre de Paris, qui dans son communiqué du 12 octobre, dénonce l’inadmissible transgression journalistique du secret testamentaire.
Libre choix et responsabilité
Le CSN et ses services sont parfaitement dans leur rôle lorsqu’ils donnent aux notaires des explications et des instructions leur permettant d’appliquer les directives des Pouvoirs publics d’où émane notamment TRACFIN. Il demeure qu’en définitive, le choix au cas par cas ne saurait dépendre que du notaire personnellement, face à sa conscience. La jurisprudence, jusqu’ici, a condamné, à quelques exceptions près, l’invocation du secret professionnel pour refus de témoigner dans deux hypothèses : le crime et la fiscalité, avec descente de police dans l’étude sur commission rogatoire, fouille et saisie de tous documents. À quoi le notaire ne peut que déférer, n’en déplaise au Canard ! L’objectif de TRACFIN de concourir à tarir le blanchiment d’argent est-il aussi justifié que la punition d’un crime ou d’une fraude fiscale ? Telle est finalement la banale question pratique que le CSN a tranchée comme il en avait le droit et le devoir, mais qui reste, individuellement, un risque pour chaque notaire. Nous savons tous, qu’au-delà des cas TRACFIN, nous sommes confrontés parfois à de semblables dilemmes. Nul, pas même Le Canard, ne peut alors choisir !
Et les avocats ?
L’avocat refuse, via ses barreaux, le processus TRACFIN ! Pourquoi ? Son seul souci statutaire, clairement revendiqué, est de défendre, à tous crins, le seul et unique intérêt de son client. Son refus de témoigner n’est donc pas sanctionné par le juge. Cependant, il ne saurait se soustraire, comme le notaire, aux saisies de tous documents en son cabinet, en présence du bâtonnier qui fait les protestations et les réserves d’usage, de même que le président de la Chambre des notaires…
Notre rôle, placé aux confins d’intérêts divergents, tant envers les particuliers qu’à l’égard de l’État, garant de l’intérêt public, crée certains devoirs méconnus des journalistes, que le citoyen comprend pour peu qu’on lui explique. Sans quoi la conciliation, la concorde familiale, cœur et justification de nos contraintes statutaires, ne pourraient se déployer, au bénéfice de tous ceux qui, chaque jour, recherchent notre conseil et notre sécurité.