Après Dominique de Villepin, c’est notre ancien garde des Sceaux qui a revêtu la robe. Faut-il en déduire que faire de la politique en étant avocat, c’est mieux ? Dialogue avec moi-même…
Moi (éberlué) : Tu as vu, Rachida Dati a prêté serment dans sa nouvelle robe d’avocat…
MOI (blasé) : Elle suit l’exemple de Dominique de Villepin et de tant d’autres ministres ! Il est vrai que la démarche leur est facilitée puisqu’ils sont dispensés de passer le CAPA.
Moi : Notre ancien garde des Sceaux, un ancien premier ministre (poursuivi par le Ministère public, mais présumé innocent)… N’y a-t-il pas confusion des genres ? Un mélange détonnant d’intérêts contradictoires et la possibilité de connaître des affaires « politico-juridico-financières » encore plus compliquées que celles dont nous avons eu connaissance dans le passé ?
MOI : Sans aucun doute. Il est étonnant d’ailleurs que l’Ordre des avocats, l’État et la Chancellerie ne se soient pas érigés contre une telle dérive.
Moi : En fait, c’est une hypnotisation réciproque entre le politique et l’avocat, chacun prêtant à l’autre des pouvoirs exceptionnels. Les ministres devenus avocats s’étonnent que l’on puisse s’étonner. Ils plaident leur indépendance, la nécessité d’avoir un métier et la possibilité de pouvoir défendre, devant une instance judiciaire, toute juste cause qu’ils découvriraient dans leur action politique. En somme, ils font leur publicité. Or, la publicité, en général, a atteint un tel niveau de présence sur tous les médias que nous ne trions plus les informations. Nous devenons incapables de différencier le vrai du faux. Tous les arguments ont la même valeur, d’autant plus que s’est installé un consensus mou, un « politiquement correct », une sorte d’autocensure par autosuggestion. Faire de la politique et être avocat, c’est mieux !
MOI : Le prestige de la robe d’avocat rejoint le prestige de l’homme politique. Prestige tout relatif et détestation certaine de la part de nos contemporains, car l’on craint les sophismes de l’un et de l’autre, et on les soupçonne des pires turpitudes.
Moi : Dans cet ordre d’idée, le comble de l’hypocrisie n’a-t-il pas été atteint lors du décès de Philippe Seguin, présenté par l’ensemble de la classe politique comme le paradigme de l’homme d’Etat. Seulement voilà, de son vivant, ses collègues n’avaient cure de ses conseils. La politique flirte rarement avec l’éthique. L’image des avocats est déjà dégradée. Ils n’ont pas intérêt à juxtaposer de manière trop voyante les ténors du barreau et de la politique.
MOI : À moins que tout cela ne procède d’un plan mûrement réfléchi pour investir, dans son entier, le domaine du droit, disputer aux notaires le monopole de l’accès au fichier immobilier, lesquels ne vont pas tarder à souffrir de fièvre obsidionale.
Moi : Qui mieux qu’un ancien garde des Sceaux devenu avocat peut déstabiliser les notaires ?
MOI : Tout politique gouverne par l’oubli : oubli du passé et des promesses – qui n’engagent que ceux qui les écoutent. Chaque nouveau président, chaque nouveau maire évoquent la rupture. Du « Je vous ai compris » prononcé par le général de Gaulle au « Je ne vous décevrai pas » répété par le Président Sarkozy, la catastrophe a presque toujours été la sanction au bout du chemin. Dans ces conditions, il est fort à craindre que la République oublie ses notaires, que la confusion du droit et de la politique par l’entremise des gouvernants et des avocats ne conduise à un salmigondis dont les notaires auront peine à se défaire.
Moi : Je crois que tu as malheureusement raison. L’impensable est devant nous ! Comme le dit Gérard Bensussan, « La politique me semble l’emblème parfois tragique de la finitude. »